Jean-François Carra-Saint-Cyr, Lettere inedite, in G. Beltrani, L’occupazione francese in Puglia nel 1801, in “Rassegna pugliese”, XXX, 1913, 9 e 10, settembre, ottobre, novembre e dicembre, pp. 337-345, 385-392, 451-464
LETTRES
1.
Au Lieutenant-Général SOULT, à Tarente.
Bari, 6 Floréal an IX (25 Avril 1801).
Général, j’ai l’honneur de vous prévenir de mon arrivée ici depuis hier au soir. J’ai visité en courant les places de Barletta, Trani, Bisceglia [Bisceglie], Molfetta, Giovennazo [Giovinazzo] et Bari. Il se trouve dans le fort de Barletta quarante deux pièces de canon, dont trois en bronze, deux de seize et une de douze ; les autres sont de tous calibres. Il y a quelques munitions de guerre, dont le Chef de bataillon Sézille est occupé à faire l’inventaire. L’approvisionnement de bouche est nul, de même que pour ce qui concerne la partie du génie.
Il y a quelques bâtiments de commerce et beaucoup de ceux destinés à la pêche, dont je vous enverrai la note détaillés, à mon retour de Monopoli, avec celle de tous les autres ports.
J’ai vu à Barletta le Contre-Amiral Villeneuve. Il a paru désirer me faire prendre le change sur sa présence en cette ville, et sur la route de Naples à Tarente. Je lui ai répondu d’une manière à le satisfaire, et convenable pour les personnes qui nous entouraient.
Je n’ai pas eu le temps d’aller voir un fortin qui se trouve à l’embouchure de l’Offanto [Ofanto]. Le chef de bataillon Sézille ira le reconnaître et fera l’inventaire de ce qui s’y trouvera.
À Trani, il y a un fort qui ne renferme que deux mauvaises pièces en fer, de calibre de 6, et aucune munition de guerre de bouche. Dans le port il se trouve quatre bâtiments marchands et quelques bateaux de pêcheurs.
À Bisceglia, il y a un mauvais port dans lequel il se trouve quatre bâtiments.
À Molfetta, il y a plusieurs bâtiments et quelques bateaux pêcheurs.
À Giovennazzo, très mauvais port dans lequel il se trouve un bâtiment.
À Bari, j’ai été visiter les trois forts, dont deux sont peu de chose. La plus considérable, par sa situation et sa décrépitude, n’est bon a rien. Il s’y trouve 15 à 18 pièces de canon, de mauvaise qualité, environ dix milliers de poudre ; approvisionnement de bouche nul ; aucune carte, plan, et rien encore de ce qui a rapport au génie. Il y a aussi quelques mauvais fusils. Je vous envoie ci-joint la note des bâtiments qu’il y a dans le port.
La veille de mon arrivée, le « brick » « Le Général Murat », est venue échouer dans le port. Le capitaine et les officiers ont trouvé très peu d’empressement de la part des habitants et des autorités du pays, à les aider dans leur malheur. Je viens de demander au Capitaine du port qu’il leur soit fourni tous les moyens de relever leur bâtiment ; l’on craint qu’il ne soit perdu. L’équipage ainsi que son artillerie, sont à terre. Je ne négligerai rien pour appuyer avec chaleur et obtenir toutes les demandes justes et fondées que pourra faire le capitaine pout les intérêts de son bâtiment. J’imagine que c’est remplir vos intentions.
Pendant que je suis sur cet article, je dois vous observer. Général, qu’il m’est déjà arrivé beaucoup de demandes pour laisser sortir de barques chargées d’avoine d’autres chargées de sel, de bois, etc. pour Tarente, Termoli, Monopoli ou autres pays de mon commandement. Les capitaines proposent même de donner des cautions qui assurent leur rentrée dans le port d’où ils sont sortis.
Quelle doit être ma conduite à leur égard ?
Les différentes villes que je viens de parcourir, sont peuplées, et quelques unes assez commerçantes. Les principaux objets sont le blé, les huiles et le sel. Je vous donnerai encore sur ces articles, comme sur la population, de plus grands détails à mon retour.
Je n’ai pas à craindre de débarquement de la part de l’ennemi, depuis Barletta jusqu’ici. Le 3ème bataillon de la 86ème occupe Barletta et Trani ; le 2ème, Bisceglia, Molfetta et Giovenazzo. Le 1er est ici avec les dragons et l’artillerie. Le 3ème de la 1ère provisoire sera demain à Mola ; il détachera une compagnie à Polignano. La 2ème et le 1er arriveront après-demain à Monopoli, d’o à Monopoli, d’où il sera envoyé un détachement à Porto di Villa-Nova. J’ai accordé au chef de bataillon Sézille une escouade de la 19 ème compagnie d’artillerie, qui sans doute, faute d’instruction ou par erreur, a suivi ma marche, puisque cette compagnie est destinée à faire le service au parc. Cette escouade sera repartie dans les forts que doit inventorier le citoyen Sézille, jusqu’à ce que vous m’envoyez un ordre contraire. Je dirigerai le reste de la compagnie et le capitaine sur Tarente, par Monopoli.
Je pars demain pour reconnaitre et établir la 1ère provisoire à Mola et Monopoli, Si à mon retour je crois pouvoir m’absenter sans que le bien du service en souffre, j’irai moi-même vous porter le rapport de mes opérations, et je m’estimerai heureux, Général, si elles ont mérité votre approbation.
2.
A Monsieur le Capitaine du port napolitain, à Bary
(Bary, le 6 Floréal, an IX (26 Avril 1801).
Le brick le Général Murat a échoué, Monsieur le Capitane, dans votre rade, et vous n’avez rien fait pour aider à le sauver. Le capitaine se plant de n’avoir pas reçu même les secours que l’on accorderait à son ennemi en parelle circonstance. Le nom qu’il portait, cependant, qui est celui du général en chef, en outre qu’il était français, aurait dû lui attirer, sinon du zèle et de l’empressement, du moins le service qu’il demandait en payant. En attendant que ce capitaine m’ait fait connaître d’une manière officielle les griefs qu’il a à alléguer contre vous, dans son malheur il réclame, pour tâcher de sauver son bâtiment, cent marins, deux trabaques, quatre chaloupes, un câble, douze pioches pour ôter le leste, quatre appareils, huit pompes et trente-six paniers.
Je ne présume pas, Monsieur le Capitaine, que vous vous refusiez à mettre de suite à la disposition du capitaine français commandant le brick le Murat, les objets demandés par lui, et, en cas de refus, je vous rendrai responsable de l’événement.
J’ai l’honneur de vous saluer.
3.
Au Général SOULT
Du 15 Floréal an IX (5 Mai 1801).
Général, j’ai parcouru les villes de Mola, Polignano, et Monopoli ; j’ai fait reconnaitre la côte jusqu’à Villanova où j’ai placé un détachement. La partite faible de mon commandement est depuis Bari jusqu’à Villanova, tant par l’étendue de son territoire que parce qu’il y a des espaces considérables sans postes militaires, et qu’enfin, en descendant de ce côté, la côte donne davantage de fonds aux bâtiments.
Il se trouve bien des tours ou tourelles à la manière du pays établies de distance eu distance sur toute la côte. Les unes sont sans canons ; d’autres en ont, sans munitions ; et d’ailleurs quand elles seraient munies de tout, il faudrait encore un certain nombre de canonnier pour faire le service.
Quant à l’esprit politique des habitants de ces contrées, Mola est à notre disposition ainsi que Polignano.
Monopoli est douteux ainsi que ses environs. Jusqu’ici ils nous ont toujours été contraires.
La question est maintenant de savoir si nous devons redouter une descente, et alors il est indispensable d’établir quelques batteries, d’approvisionner ces tourelles pour empêcher les bâtiments d’approcher et donner le temps aux troupes de se réunir sur le point attaqué. Il y aura beaucoup moins à faire de Bari à Barletta, parce qu’il y a moins de facilité de débarquement, et que les villes sont plus rapprochées. Si au contraire nous ne sommes point menacés par l’ennemi, on peut avec peu de dépenses, et auxquelles mêmes les villes contribueraient volontiers, se mettre à l’abri de l’attaque d’un corsaire qui voudrait ravager la côte. Au surplus, Général, le chef de bataillon Sézille, à qui j’ai recommandé surtout le voir en détail la côte depuis Bari jusqu’à Porto di Villanova, vous rendra sur compte exact et satisfaisant de son opération.
Dans tous les cas, pour me conformer à vos intentions, mon projet est de poster toute la1ére provisoire à Monopoli, de ne laisser que la 3éme bataillon de la 86éme pour les places de Barletta, Trani, Bisceglia, Molfeta, e Giovenazzo, et de réunir ici le 2éme bataillon avec le 1er. Ils fourniront un petit détachement à Mola et Polignano.
J’ai trouvé à Mola six bâtiments, deux à Polignano, quatre à Monopoli, l’embargo est mis sur tous sans exception ; les pêcheurs seulement obtiennent de sortir pour la pêche, et les barques nécessaires au service militaire, et celles qui se rendent dans les ports de mon commandement, et dans ceux du Général Chabert jusqu’à Tarente.
Je ne vous cache pas, Général, que je suis accablé tous les jours de réclamation de la part des agents du commerce et des capitaines de bâtiments qui demandent à sortir ; il est bien vrai encore qu’en arrêtant toutes le branches du commerce, nous nous ôtons beaucoup de ressources et par conséquent les moyens de payer et d’habiller la troupe si cela devenait nécessaire. Cependant je serais fâché, Général, que vous prissiez des mesures contraires avant que vous m’eussiez permis de vous présenter mes observations sur ce que j’ai été effrayé des dépenses dans laquelle j’allais jeter la ville. Je me suis donc résumé à exiger que, sous son administration particulière, il me fût monté cent lits au moins dans un local salubre, ou la ville me ferait traiter cent galeux, on traitera les vénériens ; et j’ai en outre dans la ville des petites hospices civils où l’on traite les fiévreux. J’ai donné ordre à tous les commandants des autres cantonnements de faire de même en raison du nombre de leurs troupes et de leurs malades ; par ce moyen, cette charge sera reversée sur les différentes villes de mon commandement, et aucune responsabilité ne pèsera sur les agents français, puisque le service reste entre les magistrats du pays.
J’ai la satisfaction de vous apprendre, Général que partout la troupe se conduit bien, et qu’il règne la meilleure harmonie entre elle et les habitants.
Il nous manque souliers, chemises particulièrement et habits.
4.
Au Général SOULT
22 Floréal an IX (12 Mai 1801).
Général, j’ai l’honneur de vous rendre compte que j’avais envoyé dans la commune de Medunio [Modugno], distante de 5 milles d’ici, un détachement de vingt hommes commandés par un officier, parce qu’en ce moment de la publication de la paix, il s’était manifesté dans cette commune quelque mouvement d’insurrection. Pendant mon absence, il est arrivé un accident : un soldat en nettoyant son fusil lui a échappé des mains, le coup est parti et a tué un enfant qui se trouvait auprès de lui.
Le soldat a été arrêté sur le champ ; et le Magistrat ainsi que les habitants et même le père de l’enfant ont déclaré et reconnu que c’était un événement malheureux, dans lequel le soldat n’était coupable que de maladresse ; les deux pièces que j’ai demandées et que je vous envoyai ci-joint, en font la preuve évidente. Cependant le soldat est toujours en prison ; mais je ne le crois pas susceptible de passer au conseil de guerre.
Je suis entré dans tous ces détails, Général, parce que dans un pays comme celui-ci, on grossit tellement les objets que j’ai craint les rapports infidèles qui auraient pu vous parvenir.
Le nombre de mes galeux, qui est considérable, se traite actuellement dans tous mes cantonnements, par les soins et sur l’administration des communes. A Bari, j’ai une salle de cent galeux. J’espère sous peu de temps qu’ils seront tous guéris.
Il me rentre beaucoup de prisonniers de guerre et de blessés au passage du Mincio dans la 1ére provisoire. Ces hommes sont tous nus. Il me paraîtrait bien nécessaire, général, d’avoir quelques moyens de pourvoir aux plus urgents besoins de cette nature. Nous manquons surtout de chemises et de souliers.
Il me revient de toute part le rapport que les Anglais occupent avec un grand nombre de bâtiments de guerre, le Golfe Adriatique. J’apprends aussi par le consul allemand à Barletta que, suivant le dire d’un patron de barque qui vient du côté de Raguse, il s’y trouve 3000 Turcs et trente voiles que l’on croit bâtiments de guerre ou de transport. Ce qu’il y’a de certain, c’est qu’une frégate anglaise s’est fait voir à quatre mille de Barletta : il y a deux jours cette frégate fit venir à elle un pécheur et lui demanda quand le corsaire de Bari devait sortir, etc.
Je vais employer toutes les voles qui sont en mon pouvoir, pour vous donner des renseignements plus certains sur les mouvements des ennemis.
5.
Au Lieutenant-Général SOULT.
Du 24 Floréal (14 Mai).
Général, j’aurais désiré que M. le Général Broucard, en accueillant les plaintes qui lui ont été portées concernant mon administration, ait exigé quelques faits précisés, des ordres ou écrits de ma part, et alors il m’eut facilité les moyens de remonter à la source de ces nouvelles intrigues qui ne tendent à rien moins qu’a troubler l’harmonie qui doit régner entre la République Française et le Roi de Naples. Quoiqu’il puisse m’en coûter, Général (je répondrai) aux articles qui forment le contenu de votre lettre du 22 courant. Je mets trop de prix à justifier la confiance que vous m’accordez pour ne pas entrer dans tous les détails qui pourront vous les faire apprécier.
Il n’a jamais été question de 1500 piastres pour la dépense de ma table. A mon arrivée ici, on me fit savoir que l’intention du Magistrat était de me faire une offre à cet égard ; on insista même plusieurs jours pour me faire accepter cette offre ; mais, voulant m’assurer qu’elle n’était point suscitée par crainte ou autres raisons, je fis appeler le Magistrat et lui demandai si c’était pat une volonté libre que la ville prétendait m’offrir ce tribut d’estime et de considération. Sur son affirmation j’acceptai :
Je ne suis jamais sorti de la ligne qui m’a été tracée. Donc je n’ai pas pu obliger les magistrats de la ville de Bari de remplacer un bâtiment naufragé, et les magistrats ne s’en sont pas plaints. Mais j’ai eu l’honneur de vous rendre compte. Général, dans le temps, que le veille de mon arrivée ici, le Brick français portant nom le Général Murat, était venu échoir dans le port sans avoir pu obtenir le moindre secours des habitants de cette ville ; mais qu’au contraire, lorsque les malheureux officiers et matelots furent obligés d’abandonner le bâtiment et de transporter leurs effets à terre, ils furent tous pillés par ces mêmes habitants. Je dus donc me plaindre aux Magistrats d’une conduite qui n’avait pas son exemple parmi les nations les plus barbares. A plus forte raison me paraissait-elle étrange envers le bâtiment d’une nation qui venait de faire la paix avec le gouvernement napolitain. Les magistrats reconnurent aussitôt les torts des habitants de la ville en général, et durent craindre naturellement (leurs) conséquences. ― Je leur déclarai qu’il m’en coûtait d’avoir à faire un rapport qui leur fût aussi défavorable, mais que je ne pourrais m’en dispenser s’ils ne contribuaient à faire relever le bâtiment on le remplacer par un autre. C’était donc leur conduite qui devait régler la mienne.
Je pense qu’ils ont agi très prudemment en faisant un sacrifice que la plus saine politique leur commandait, et qui ne sera jamais condamné par les hommes qui partagent de bonne fois les sentiments des gouvernements français et napolitain pour la paix.
En arrivant à Monopoli, la 1ére provisoire avait essuyé trois jours de pluie ; tous les soldats étaient sans souliers. Je profitai de la conduit (inconcevable) qu’avait tenue envers le corsaire le commandant du fort, pour représenter aux magistrats l’était où se trouvait le soldat qui venait de prendre garnison dans leurs murs ; et, d’un accord commun, sans ordre, sans réquisition et sans écrits lancés surtout, ils me promirent 600 paires de souliers et 20 paires de bottes pour mes ordonnances, en me réservant de les faire indemniser soit par la République soit par le Gouvernement napolitain, s’il y avait lieu. Je crois que déjà 300 ont été livrées au Chef de la 1ére provisoire, qui a été chargé de les faire confectionner. Je n’ai pas encore reçu les 20 paires de bottes.
Je crois pouvoir être assuré de tous mes commandants de place. Cependant je vais donner une nouvelle activité à ma surveillance pour assurer la liberté entière du commerce dans les ports que je commande, lorsque l’intérêt de l’armée française ne s’y trouvera pas compromis, et que les bâtiments que j’autoriserais à sortir ne seront pas destinés à porter des vivres aux Anglais ; et j’ai des raisons pour m’en défier, car l’ennemi est parfaitement bien servi dans touts ces ports.
Ce qui m’a paru de plus fort dans les plaintes portées à M. le Général Broucard, c’est ce qui a rapport aux Douanes du Roi. Le Douanier qui se trouve ici, et qui a la surveillance sur les douanes des autres ports, ne m’a pas porté une seule fois la moindre plainte ; et c’est au contraire, d’après mes ordres et par les soins des militaires, que j’ai empêché la contrebande à Barletta, lorsque j’ai été instruit qu’elle se faisait pour quelques sacs de blé.
Vous voyez, Général, quel fond on peut faire sur de pareilles récriminations.
En passant à Trani, les Magistrats m’offrirent et insistèrent même pour que je les autorise à donner des frais de table aux officiers. Je m’y refusai obstinément. A Bari j’en fis de même pour ceux qu’on voulait offrir au commissaire des guerres. J’ai défendu à tous commandants de places d’exiger rien sous le titre de frais de table ou toute autre dénomination, avant que j’aie pris vos ordres.
J’ai appris seulement qu’à Molfetta il avait été reçu de l’argent, et je le défendis sur le champ. Je vous dirai cependant franchement, Général que je n’ai pas été si sévère envers ceux qui ont trouvé quelques douceurs à la table de leurs hôtes, parce que des officiers à qui il est dû, aux uns 14 mois et aux autres 4 de solde, n’ont pas la faculté de faire leur ordinaire. ― J’ai encore cédé aux instances des Magistrats de Bari qui ont accordé au commandant de la place une modique somme à titre de régale.
Voilà, Général, l’exacte vérité en réponse à tous les articles de votre lettre ; et su j’avais besoin de preuves, elles se trouveraient dans les rapports conciliateurs, et j’oserai dire amicaux, que j’ai avec tous les Magistrats des villes où je commande. Ce ne sont donc que des intrigants qui sont restés en guerre avec les Français lorsque leur Roi a fait la pax, qui ont suscité cette explication, et que je vous ferai bientôt connaître, et que vous saurez apprécier.
6.
Au Lieutenant-Général SOULT
Du 24 Floréal au IX (13 Mai).
Général, aussitôt que j’ai en reçu votre lettre du 22 j’ai pris des mesures pour savoir d’où pouvaient provenir les plaintes qui vous avaient été portée pat le Général Broucard. J’ai bien vite découvert qu’elles venaient de la scélératesse et de la haine invétérée que nous porte un nommé Quatromani, douanier du Roi à Bari. Cet homme m’avait été dénoncé pour être un des plus ennemi des Français dans tous les temps, et leur a fait tout le mal qui lui a été possible dans leur retraite. C’est encore lui qui est la cause véritable de la perte du corsaire, parce qu’il est tellement craint des matelots qu’ils n’ont pas osé agir dans cette occasion.
Vous verrez au surplus, Général, de quel homme il est question par la note impartiale que je vous envoie. Je joins aussi copie d’une lettre d’un nommé. David Vinspear, qui écrit au Gouverneur de cette ville au nome du Général Broucard, dans laquelle les deux premières lignes prouvent bien que c’est sur les plaintes et dénonciations du nommé Quatromani.
Vous rendrez un service important à la ville et aux Français, d’exiger impérieusement que cet homme soit remplacé et éloigné de la ville de Bari, où il n’a cessé de mettre le trouble depuis qu’il y est ; et je demanderais au contraire que le Gouverneur et les Magistrats fussent conservés, parce qu’ils se sont généralement bien conduits depuis notre arrivée.
Cependant je conçois que leur position est pénible ; chaque commune a dû nourrir la troupe ; nous avons eu des malades ; ils ont dû les guérir. Nos officiers sont sans paye, et partout on sait qu’ils sont nourris par les habitants. Le coucher du soldat a encore été une dépense pour eux. Les transports, dans une ville de passage comme Bari, les ont écrasés. Ces communes demandent donc avent raison, ou qu’il leur soit envoyé des fonds pour les dépenses, ou qu’elles soient autorisées à établir une taxe extraordinaire pour y subvenir, puisqu’elles n’ont aucun fonds dont elles puissent disposer. D’un autre côté vous connaissez leur manière d’administrer : leur dépense est décuple de ce qu’elle devrait être, et je suis bien d’avais qu’elles ne peuvent pas longtemps résister à ces charges.
Plus je réfléchis, Général, à l’occupation de cette province, et plus je pense combien il serait impolitique aux Français de l’évacuer, avant que vos troupes soient soldées, qu’elles soient habillées, que vos établissements soient formés, que les moyens de pourvoir à tout cela vous soient fournis. Il s’écoulera encore beaucoup de temps ; et si deux provinces considérables ont beaucoup de peine à supporter ce poids énorme, quelle sera votre perspective, avec les procédés de la cour de Naples, lorsque nous serons réduits à la Province d’Otrante ? Vos troupes seront mal ; les habitants seront écrasés, et la brouille se mettra dans le ménage.
Il me semble que la bonne politique exige que nous retardions le plus possible cette évacuation.
J’ai vu le Général Dulauloi, qui est parti ce matin. Vous me rendrez la justice de croire, Général, que dans la différence d’opinion qui s’est élevée à Tarente, j’ai combattu pour la bonne cause, c’est-à-dire la vôtre, et je crois pouvoir me flatter de l’avoir persuadé. J’ai vu le rapport qu’il a fait au Général en Chef. Vous n’avez pas à vous en plaindre. Il pense comme moi sur l’occupation de la province de Bari, au moins pour quelques mois.
P. S. L’ordonnance est porteur d’une lettre très importante pour le Contre-Amiral Villeneuve ; elle vient du Capitaine Muron, de retour de Raguse, que j’ai astreint à une contumace de 14 jours, conformément aux lois du pays.
7.
Au Général SOULT, à Tarente.
Du 6 Prairial (26 Mai).
Général, je m’empresse de répondre à la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire du 26 Floréal dernier ; et si je n’ai pas devancé vos désirs dur le rapport que vous me demandez concernant l’esprit public dans les villes de l’arrondissement confiée à mon commandement, c’est que je n’ai pas voulu me laisser influencer par des impressions étrangères. J’ai donc préféré retarder de quelques jours le rapport, et vous donner des notions sûres et dégagées de tout esprit de parti, sur ce qui forme le contenu de votre lettre.
La dernière tourné que je viens de faire pour lasser la revue dans tous mes cantonnements, m’a fourni les renseignements exacts et impartiaux que je vais vous soumettre. Le résultat est le fruit de mes observations depuis que nous occupons la province de Bari.
Il est bien prouvé qu’il existe deux partis prononcés dans le Royaume de Naples, tous deux tendant également à renverser le gouvernement, quoique par des voies opposées.
Le premier est composé de patriotes exaltés, qui ont été persécutés, emprisonnés, et qui conservent un violent désir de vengeance et de domination ; l’autre est formé par des hommes haineux, abandonnés à leurs passions, naturellement persécuteur et poussant tout à l’excès ; ils sont stimulés et payés par l’ennemi qui voit avec désespoir la paix rétablie entre le gouvernement français et la cour de Naples.
Dans la province de Bari. Le premier de ces partis n’est point dangereux : il sait qu’il n’a point d’appui à attendre des Français. Mais au contraire le second y fait plus de mal aux intérêts du roi et aux intentions pacifiques de notre gouvernement. Les hommes de ce parti occupent encore des emplois importants dans l’état ; ils conservent dans l’exercice de leurs fonctions cette animosité, cette haine contre les Français, qu’ils n’ont pas même la politique de dissimuler. J’en ai par devers moi des preuves par écrit. Ces hommes ne peuvent supporter notre présence sans le pays ; ils menacent hautement les habitants paisibles qui, sans haine et sans parti, se rapprochent de nous, ils dénoncent plus que jamais le parti contraire et par leur crédit, leur argent et la férocité de leur caractère, en imposent aux villes, aux magistrats et aux hommes de paix. Ce sont eux encore qui ne cessent de répandre le bruit de notre embarquement pour l’Egypte ; c’est par leurs émissaires qu’ils excitent dans plusieurs villes et particulièrement à Molfetta, à la révolte et à l’assassinat contre les Français ; c’est par eux que les Anglais sont instruits de tout. Ils ont jeté enfin une telle terreur depuis quelques jours, que les magistrats redoutent de faire pour la troupe ce qui est juste de lui accorder, crainte des dénonciations contre eux.
Ils déclarent à Polignano, à Mola, à Bitonto etc. qu’ils font des notes, et qu’aussitôt après notre départ, ― qu’ils déterminent toujours pour le lendemain, ― il y aura des incarcérations, des jugements, des exécutions, etc. Des déclamations, des diatribes violentes contre les Français, sont parties de Bitonto, adressées directement au Roi de Naples, sans autre motif que l’esprit de haine et de parti.
Les hommes qui font en ce moment la contrebande des blés du côté de Barletta, Trani, Bisceglia, sont ceux-là même qui me dénoncent à la Cour de Naples pour la protéger ; voilà ce que je découvre.
Plusieurs soldats ont été désarmés et maltraités en allant en correspondance ; tous les rapports prouvent que c’était par instigation contre les Français, puisqu’ils étaient injuriés, battus et non volés. Cependant en général la masse de la population est bonne ; mais en ce malheureux pays, un seul homme riche fait trembler toute la province.
Je désignerai Général, les fonctionnaires qu’il est de l’intérêt du Roi et du nôtre, de faire remplacer ; et en effet l’homme qui avait été bon pour remplir une place dans un temps de guerre, (et quelle guerre !) n’est plus propre ò remplir les vues pacifiques de s deux gouvernements. C’est dans cette occasion que l’on jugera s’il [le gouvernement napolitain] est de bonne foi. Car j’en reviens encore à ce parti dangereux ; ses prosélytes ne voient qu’avec peine la bonne discipline de nos troupes, et la bonne harmonie qui règne entre elles et l’habitant. Voilà ce qui excite leur rage, eux qui ne veulent et ne prêchent que le massacre des Français.
Sans doute l’autre parti n’est pas moins à surveiller ; mais il nous craint, et nous lui en imposons. Il ne bougera pas, à moins qu’il ne soit poussé à bout par les persécutions de l’autre.
Cet exposé m’amène naturellement à vous parler de l’intention où l’on paraît être de réunir toute l’avant-garde de l’armé dans la seule province d’Otrante.
Je ne m’étendrai pas sur les moyens d’y établir et de nourrir un nombre aussi silence l’air malsain et contagieux de plusieurs points de cette province, qu’elles devront occuper. Je ne regarde ce mouvement que sous le rapport politique et militaire. Serait-il prudent, lorsque nous avons tant de raisons de nous méfier. ― Je ne dis pas de la Cour de Naples, mais de ses ministres, ― d’aller nous entasser à l’extrémité de la botte, en laissant un intervalle immense entre l’armée et nous ? Serait-il politique à la Cour de Naples d’épuiser une de ses provinces par une surcharge trop forte, plutôt que de repartir les troupes sur un territoire plus étendu ? Quel peut être son but ?
Je suis loin de penser que le Roi de Naples désire de nous voir remplacer dans cette province par les Anglais, de voir succéder le tombeau des Français à celui des Suisses. Si cependant il s’effectuait une descente sur ces côtes après notre départ, qui s’y opposerait ? Serait-ce les troupes du Roi de Naples ? Mais est-il bien sûr lui-même de son armée ; est-elle soldée, nourrie, habillée ?
S’il m’est permis de donner mon avis sur j’évacuation de la province de Bari, je crois que c’est un mouvement très impolitique du gouvernement français, et qui peut devenir très pré judicieux aux intérêts de la Cour de Naples, du moins pour le moment et jusqu’à ce que nous soyons bien assurés des intentions sincères des ministres du Roi.
Je pense donc qu’il est possible, sans manquer au traité, sans contrevenir aux ordres, de différer cette évacuation, en exigeant : 1° des moyens pour assurer la subsistance des troupes pour un certain temps ; 2° des casernes ou emplacements garnis des effets de casernement nécessaires au logement de la troupe, afin de ne pas être obligés comme nous le sommes de tirer paillasse par paillasse, marmites, etc. avec toutes les peines du monde. Enfin il me parait indispensable de nous assurer des établissements nombreux dans la saison où nous allons entrer. Je ne vois pas non plus que nous ayons des moyens de transport. J’allègue encore en mon particulier que j’ai en ce moment plus de trois cents galeux qui ont commencé leur traitement, et qu’il est impossible d’interrompre pour un simple déplacement.
Il me semble que voilà plus de moyens dilatoires qu0il n’en faut pour différer au moins de trois mois l’évacuation d’un pays qu’il me parait si important d’occuper dans les circonstances présentes.
Je suis bien convaincu, Général, que vous avez déjà fait touts ces observations, et que vous appréciez mieux que moi nôtre position dans ce pays ; mais c’est un tribut de mes réflexions que je vous présente, et Je me trouverai flatté si j’ai pu me rencontrer d’opinion avec vous.
8.
Au Général SOULT, à Tarente.
Da 7 Prairial an IX (27 Mai 1801).
Les hommes dont je vous parlais dans ma lettre d’hier, sont : 1° Le grand Douanier Quatromani. Cet homme est craint, non-seulement des habitants de tous les fonctionnaires du pays ; les ministres du Roi le redoutent. Le tribunal de la province siégeant à Trani, est dans sa dépendance. Cet homme affecte ouvertement de ne pas communiquer avec le Français ; je ne vois que le ministre Acton qui puisse être son patron, et tout s’accorde à me le faire croire, parce qu’il est notoire que les Anglais sont très bien servis dans ce pays. Qui peut mieux que le douanier leur rendre service ? D’ailleurs ce dévouement absolu, cet acharnement contre les Français, doit lui assurer nécessairement tout l’appui d’action. En voilà bien assez pour vous prouver, Général, l’intérêt que nous avons à le faire déplacer.
Je demande aussi le changement de plusieurs gouverneurs qui prêchent sans cesse contre les Français, et qui sont les sous-agents de Quatromani. Parmi ceux-là je compte les gouverneurs de Polignano, de Mola et de Bitonto. Ce dernier surtout était un des plus chauds satellites de Cardinal Ruffo. Et écrivant au Roi et en parlant des Français, il les appelle, sans avoir à se plaindre d’eux scélérats de Français. Il n’est pas sans moyens, et plus dangereux que les deux autres. Ce sont des Hommes qui pousseront a bout l’autre parti, si on leur laisse le pouvoir dans les provinces.
Dans le tribunal, il y a deux ou trois membres de cette trempe ; aussi y a-t-il beaucoup de personnes détenues encore dans les prisons, en contradiction au traité de paix ; mais vous m’avez recommandé d’être très circonspect sur ce point, et j’en ai apprécié les raisons. Mon Général, avec le déplacement de 7 ou 8 personnes dans la province de Bari, vous aurez assuré la paix et l’harmonie entre tous, avec d’autant plus de raison que cela mous donnera plus de moyens de comprimer les patriotes par le système de l’équilibre.
Je vous enverrai confidentiellement copie de la lettre du gouverneur de Bitonto ; mais on ne peut pas en faire usage sans compromettre plusieurs familles. Ce n’est que pour vous convaincre, général, de la nécessité de changer quelques-uns de ces gouverneurs.