L’Italie pittoresque

Charles Didier, in MM. De Norvins, Ch. Nodier, A. Dumas, Welckenaer, Legouvé, A. Royer, Berlioz, R. de Beauvoir, Auger, Lemonnier, L’Italie pittoresque, Paris, Abel Ledoux éditeur, 1844, pp. 41-56
TERRE D’OTRANTE. – CAP DE LEUCA. – TARENTE.
Salente du Télémaque. — Transmigration des Calabrais. — Puglia Pietrosa. — Architecture rustique. — Sainte-Marie de Leuca. — Caverne du géant. — Italie, Grèce et Phénicie. —Fécondité de l’hypothèse. — Lecce. —Otrante et les Turcs. — Gallipoli. — Brindes. —Les deux colonnes du port. — Tarente déchue. — Tarentule. Tarentisme. — Tarentelle. — Manduria et ses pastorales.

La terre d’Otrante est la région la plus orientale du royaume de Naples, et forme le talon de la botte italique. C’est une Italie en miniature.
Battue d’un côté par l’Adriatique, de l’autre par la mer Ionienne, elle est taillée aussi en presqu’île, et toutes les merveilles, tous les trésors de la grande Péninsule se retrouvent en abrégé dans la petite. D’abord la terre y recèle en son sein d’éloquents témoignages de ses primitives révolutions : ici des charbons fossiles attestent les incendies souterrains qui ont dévoré ses entrailles ; là des tufs tout incrustés de coquilles racontent au géologue les voyages de l’Océan.
Mais si des profondeurs on remonte aux surfaces, quelles richesses ! Quelle variété ! Que de fleurs la nature a jetées sur les ruines du globe antique ! Avec quel soin touchant, quelle sollicitude empressée cette tendre mère a réparé ses premières rigueurs et les a fait oublier !
Les hautes collines qui là prennent le nom de montagnes et qui constituent le squelette du pays, sont abandonnées au pâturage, et comme les Apennins de l’Abruzze et des Calabres, se peuplent de troupeaux nomades. Les bas coteaux appartiennent à la culture ; la vigne tortueuse s’y balance aux bras des ormes et des mûriers : et plus bas encore de vastes forêts d’oliviers ombragent les moissons de la plaine. Les marines du cap de Leuca sont toutes dorées de limons et d’oranges. Le tabac du nouveau monde y épanouit sa large feuille aromatique, l’aloës son candélabre immobile ; et balancés par les brises de mer avec une grâce, une mollesse, école éternelle du statuaire et du peintre, quelques palmiers bercent de loin en loin dans la nue leur tête africaine. On sent à la vue de ces Élysées champêtres comment l’auteur de Télémaque plaça là sa fabuleuse Salente.
Mais la presqu’île, enchantée n’est pas toute également riante et fertile. Comme aux plages romaines, la mer baigne de longues maremmes insalubres, que l’absence de l’homme a livrées peu à peu à la fièvre et à la stérilité. Celles de Brindes et de Tarente sont les plus meurtrières, les plus perfides. Ainsi, Brindes et Tarente règnent toutes les deux comme Rome, sur le désert et sur la mort.
Qu’elles-mêmes sont déchues ! Reine superbe jadis de la grande Grèce, la patrie d’Archytas n’est plus qu’une méchante ville de pêche et de cabotage ; et Brindes, cette clé brillante du monde oriental, Brindes n’existe plus que de nom. Son port, le plus vaste de l’Adriatique, est comblé par les algues marines ; la clandestine péote du contrebandier Dalmate y remplace les trirèmes triomphantes de la république.
Ouvertes de toutes parts et baignées par trois mers, ces terres extrêmes de l’Italie durent être de bonne heure peuplées de colons étrangers. Une tradition parle d’Athéniens : une autre de Crétois jetés là par les tempêtes aux temps du vieux Minos. Quoiqu’il en soit, ce pays faisait partie de la grande Grèce, et fut de tout temps plus grec qu’italien. Au moyen âge, la petite ville de Nardo [Nardò] avait encore des écoles grecques.
La terre d’Otrante porta divers noms dans l’antiquité, ou plutôt des peuples divers lui imposèrent le leur. Tantôt c’est le pays des Salentins ; tantôt celui des Messapiens. Sa dénomination générique est Iapygie, d’Iapyx, fils errant de l’antique Dédale. Mais celui de tous les noms anciens qui survécut le plus longtemps, c’est le nom de Calabre.
Il triompha jusqu’aux jours calamiteux de l’empire de Constantinople. Chassés alors de leur pays par une des dernières inondations des peuples du Nord, les Calabrais primitifs paraissent avoir émigré en masse, et porté leurs pénates dans cette lointaine partie de la Lucanie habitée par les Brutiens, laquelle prit des bannis Iapyges ce vieux nom de Calabre qu’elle a gardé. L’histoire ne fixe pas la date précise de cette transmigration singulière ; mais on peut la placer entre les sixième et huitième siècles, époque de la domination Lombarde en Italie.
Un fait curieux et qui trouve ici sa place, c’est que la langue grecque se maintint dans la moderne Calabre jusqu’au 14e siècle, qu’on la parlait à Rossano il n’y a pas 300 ans, et qu’on la parle encore aujourd’hui à Bova, petite ville assise au cap Spartivento, en face de la Sicile. Bova a conservé le rite grec jusqu’à la mort de Grégoire XIII en 1585.
Le caractère général de la presqu’île d’Otrante est la grâce et la mollesse. C’est un pays ouvert. Les accidents y sont rares, et les inégalités du sol n’y méritent nulle part le nom de montagnes. Les plages sont en général désertes et monotones, mais l’intérieur rachète amplement ces infirmités des côtes. D’immenses bois d’oliviers revêtent les plaines ; d’innombrables métairies blanches animent le paysage, et l’architecture svelte et un peu moresque des campaniles rustiques lui impriment une physionomie originale.
La terre d’Otrante a dans sa forme et dans sa culture quelque chose de la terre de Labour. Elle est moins riche, mais aussi brillante, aussi aérée. La vie est facile. On y respire à l’aise. Les villes et les villages sont élégants et propres ; et comme celle des clochers, l’architecture des plus simples maisons est légère et gracieuse. D’abord elles sont sans toit, couronnées par des terrasses garnies de fleurs, et elles ont cela de commun avec les maisons romaines de Pompeï ; qu’elles ont toutes une cour intérieure qui donnent entrée aux appartements. Carrées et pavées de dalles de pierre, ces cours domestiques sont ombragées d’une treille où les femmes se rassemblent le jour pour filer. Le soir on prend le frais sur les terrasses.
Quoique l’olivier soit le roi du pays, il ne règne pas toujours seul. De temps en temps, et surtout sur la côte méridionale, le riche et noir caroubier en coupe la pile uniformité et lui dispute l’empire. Les chênes verts n’y sont pas rares, le pin y est commun ; et épanouissant toujours çà et là son mouvant éventail, le palmier domine ses rivaux de toute la tête, et marque ces extrêmes plages de la grande Grèce d’un cachet oriental.
La partie de la presqu’île la plus pittoresque est tout le pays entre Gallipoli et le cap de Leuca. Tantôt c’est une lande solitaire couverte de bruyères et peuplée de troupeaux, tantôt c’est un bois où le chêne se marie à l’olivier sauvage, et le sentier n’est alors qu’une allée de verdure sombre, fraîche, touffue, impénétrable au soleil le plus ardent. Ici c’est une métairie pittoresquement bâtie en forme de tour, comme les défenses de Calabre ; là c’est une chapelle rustique qui fait fabrique dans le paysage et blanchit au loin à travers les oliviers ; plus loin un hameau dont le clocher blanc brille au soleil. Ces sites ont quelque chose des environs de Florence.
Aux approches du cap, les villages se multiplient. Bâtis de mille en mille, plus près encore, ils sont propres, spacieux, élégants, bien aérés, bien peuplés. L’architecture y est uniforme et toujours gracieuse. Ce sont partout ces mêmes jolies maisons sans toit, couronnées de fleurs ; ces cours fraiches et ombragées de treilles, ces clochers découpés en minarets.
Le caractère saillant du cap, c’est la sécheresse. Le sol n’y est plus pavé comme en d’autres points de ces grandes dalles de tufs que l’on prendrait pour des restes de voies romaines, mais il est inondé d’une énorme quantité de pierres calcaires d’une aridité toute africaine. C’est ce qui a fait donner à cette partie extrême de la Pouille l’épithète de pierreuse. Puglia Pietrosa, pour la distinguer de la haute Pouille de Lucérie et de Barlette que sa surface plate et unie a fait baptiser Pouille-Plane. Puglia Piana.
Mais si stériles que soient les cailloux du Cap ils contribuent au pittoresque du pays : voici comment. On s’en sert à construire de petites huttes basses, arrondies par le haut en forme de ruches, comme les kraals des Hottentots, ou les nuragues de Sardaigne. On monte au faîte par un escalier en spirale pratiqué à l’extérieur : et c’est de ce point élevé que chacun garde son champ au temps des récoltes. L’intérieur est une petite chambre obscure où l’on dépose des instruments aratoires ; quoique sans chaux, les pierres sont jointes à la romaine avec beaucoup d’art. Les habitants appellent cela des paillères.
Ces huttes grisâtres, vraies nuragues en miniature, sont répandues en nombre prodigieux dans toute la contrée, et lui donnent je ne sais quel air bizarre, étrange, qui n’est pas d’Europe. Quelques-unes sont bâties avec plus de prétentions, et rappellent, quoique des dimensions plus humbles, la tour de Babel, telle qu’elle est figurée dans les estampes des vieilles Bibles protestantes.
Mais ici la stérilité n’est qu’apparente. Ces champs si rocailleux sont d’une fertilité merveilleuse. On trouve bien çà et là quelques terres en friches ; mais le Cap n’en est pas moins l’un des points les mieux cultivés du royaume. Le vin y est parfait ; l’olive non moins supérieure, et le tabac si estimé des amateurs, qu’ils le paient au poids de l’or ; il a été jusqu’à 7 ducats la livre : il est vrai qu’on le cultive en cachette et qu’on le débite en contrebande.
Le Cap ne ressemble à rien en halle : il a une physionomie à lui ; et s’il ressemblait à quelque chose, ce serait au comté de Modica en Sicile ; moins toutefois la dépopulation, car le Cap est fort peuplé, le comté fort peu. C’est la même sécheresse, les mêmes champs pierreux, les mêmes sentiers scabreux et bordés de petits murs trop bas pour gêner la vue du passant, assez haut pour défendre les clos contre les agressions des troupeaux. La mer, les pins-parasols et les palmiers, quoique rares, ajoutent à la ressemblance ; et pour plus de conformité, le langage des habitants a quelque chose du dialecte sicilien ; ils entendent fort bien les idées insulaires de l’abbé Méli.
Le promontoire est terminé par un sanctuaire, célèbre dans le pays. Bâti à l’extrémité du Cap sur les ruines, ou du moins le sol d’une ville antique dont il a gardé le nom, le sanctuaire de Sainte-Marie de Leuca occupe le bout du talon, c’est-à-dire le point le plus oriental de l’Italie. C’est un site unique, un site frappant. Tout en participant de la sécheresse commune, il est plus agreste, plus grandiose, hardi dans ses découpures, pittoresque dans sa nudité, et empreint d’un caractère de rudesse et d’âpreté qui n’appartient qu’à lui.
Près de finir, la côte se redresse assez brusquement, et tombant à pic à peu près dans la mer Ionienne, elle oppose une muraille de rochers à l’esprit conquérant des vagues. Jetée en avant-garde dans la mer, une longue ceinture d’écueils en reçoit les premiers assauts, formant de ce côté-là le boulevard, et comme le bouclier de l’Italie. Derrière le sanctuaire, c’est-à-dire au nord, le sol monte comme pour protéger la maison de la madone de l’âpre tramontane. Au sud, au contraire, il abaisse, et de ce côté il descend à la nier en pente douce.
Veuve de la cité morte de Veretum, cette plaine inclinée est couverte aujourd’hui de casins, où les oisifs du pays viennent au temps de la canicule, non prier et se confesser, mais respirer la brise marine et manger du poisson frais.
Quant au sanctuaire lui-même, c’est un bâtiment spacieux et commode ; mais il tombe en ruine ; les beaux jours du calvaire sont passés, même au cap de Leuca. Les offrandes manquent pour remettre l’édifice en bon pied, et les pèlerins qu’il était destiné à héberger et à sanctifier, sont plus rares d’année en année. L’église forte simple d’ailleurs et forte nue, renferme une madone miraculeuse assai, laquelle a pour gardien et pour desservant un prêtre ignare, sorte de manant converti en casuiste, et dont la société intime et quotidienne se compose d’une vivandière et de trois canonniers.
Le saint ermite doit ce voisinage profane à une tour de garde bâtie à cent pas de son ermitage, et armé de quatre canons, dont la voix pacifique ne trouble que bien rarement le silence de cette Thébaïde humanisée.
Le promontoire de Leuca est l’ancien cap Iapyx, plage historique, où le roi Pyrrhus fit naufrage, et où les géants campaniens trouvèrent leur tombeau. Cette race mystérieuse qui joue un si grand rôle dans les traditions populaires de la primitive Ausonie, cette race muette, altière, qui semble n’être que le poétique symbole de l’individualité aux prises avec la société, cette race d’hommes forts vint mourir là. Refoulés insensiblement des riches plaines de Campanie sur cette aride plage, ils se trouvèrent là tête à tête avec l’Océan. Ils n’allèrent pas plus loin, la terre manqua sous leurs pieds, elle s’entrouvrit pour les engloutir.
Telle est l’antique tradition, et une grotte du rivage se nomme encore aujourd’hui la Caverne du Géant.
Cette fable, toute italienne, est sœur de la fable grecque des Titans. Aussi bien l’Italie et la Grèce ne sont-elles pas sœurs ? Un bras de mer étroit les sépare à peine ; peut-être même firent-elles un jour partie du même continent, et comme deux membres d’un même corps furent-elles arrachées violemment l’une à l’autre par la catastrophe inconnue qui divisa la Sicile de la Calabre, l’Espagne de l’Afrique ? Les écueils innombrables dont la côte italienne est bordée semblent témoigner de la rupture, et témoins éloquents n’être que les débris de terres anciennement submergées.
Un fait certain et consigné déjà par l’antiquité, c’est que ces écueils se prolongent fort avant sous les eaux ; des marins les ont reconnus à près de douze milles en mer, comme aussi le fameux gouffre historique où s’abîma la flotte du roi d’Épire.
En temps clair on voit du haut du promontoire de Leuca bleuir à l’autre bord du détroit les montagnes de Thessalie. Ainsi debout sur la plage comme deux sœurs captives, la Grèce et l’Italie peuvent se saluer de loin et se faire des signaux d’amour et d’espérance.
Un voisinage si rapproché dut établir de bonne heure des rapports entre les deux peuples. Mais la Grèce instruisit-elle l’Italie, ou l’Italie la Grèce ? La question n’est point résolue, et le procès est encore pendant au tribunal de l’histoire. Peut-être la gloire n’appartient-elle ni à l’une ni à l’autre, et n’ont-elles fait qu’échanger plus tard des lumières parties d’un foyer commun à des époques antérieures ?
Quoiqu’il en soit de ces ténèbres, un savant Napolitain, qui n’a pas son égal en érudition, Mazzocchi, fait dériver de la langue phénicienne le nom ancien de Iapygie, et assigne aux Iapyges une origine chananéenne. Parmi les cavernes creusées le long de la mer, il en est une qui offre de curieux phénomènes. On y a trouvé des inscriptions dont les caractères sont inconnus, et la grotte elle-même à la forme d’un temple. Son nom vulgaire est Caverne du Dragon ou de Dagon. Or Dagon paraît n’être que le Triptolème des Phéniciens ou Philistins, comme les appellent les saints livres, le dieu des moissons, l’inventeur de la charrue, le père de l’agriculture, le bon génie qui enseigna aux hommes l’art de faire le pain.
Serait-il donc impossible que les Phéniciens, ces hardis explorateurs des mers, qui devaient avoir beaucoup d’idées, parce qu’ils avaient vu beaucoup de choses, et qui, sans nul doute, jouèrent un grand rôle sur les côtes d’Italie, serait-il si impossible qu’ils eussent touché le Cap ? Que, reconnaissant l’importance de ce point maritime, ils y eussent fondé des comptoirs pour protéger leur navigation dans les trois mers adjacentes, et qu’ils y eussent ainsi laissé quelques débris de leur culte et de leurs arts ?
Que l’incrédulité, à l’œil torve, rejette la science les peut-être au rang des sciences occultes, il n’y en a pas moins pour l’homme un charme ineffable à rechercher ses origines. Qui ne serait jaloux de connaître son père et son berceau ? Un amour vague, une tendresse instinctive lie l’homme à l’homme à travers les âges. Une chaine invisible, et pourtant sentie, unit l’une l’autre les générations ; c’est la chaîne d’or homérique qui d’un bout touche à la terre, et dont l’autre plonge au ciel. Notre tâche à nous, la tâche n’est pas facile, est d’en découvrir des anneaux ; et une fois découverts, de les remonter patiemment un à un jusqu’au premier, sans en omettre un seul, sous peine de perdre à l’instant le fil et de nous égarer. Or, pour découvrir il faut chercher ; cherchons donc par lutes les voies, cherchons par tous les sentiers ; langue, art, science, instincts, appelons tout à notre aide ; semons l’hypothèse à pleines mains, nos enfants moissonneront la vérité.
Et puis, garrotée en ces jours difficiles, dans un état social si faux, si guindé, si oppressif, l’âme aspire à la liberté ; comme l’aigle en cage, elle sent en elle un invincible besoin air, d’espace, et brisant ses dures entraves, elle s’échappe et s’envole pour respirer plus à aise, vers les époques primitives de l’humanité. Ces siècles simples, naïfs, nous apparaissent du sein brûlant de nos déserts tumultueux comme autant d’oasis fraîches, calmes, ombragées, où la pensée s’abrite, se recueille, où le cœur las et blessé se repose et se cicatrise. C’est l’âge d’or des poètes, le lieu d’asile de tous les opprimés du monde ; chassé de son héritage par la brutalité des légions romaines, le tendre Virgile se réfugia chez les poétiques pasteurs Arcadie, et dans les vieilles épopées du Latium.
Nulle part ces regards en arrière, ces aspirations du passé ne sont plus énergiques, plus légitimes que sur ces terres historiques, où à chaque pas, un nom, un monument, un souvenir donne l’éveil. À la vue de ces cieux interrogés par les Argonautes, de ces mers sillonnées par les flottes de Tyr et d’Agamemnon, ces campagnes où voyagea Pythagore, et où dorment les géants fabuleux, l’imagination empare avec ardeur de tout ce monde antique, le repeuple avec joie de tous ses grands mimes, de tous ses dieux. Le faible seul s’énerve et s’oublie à ces pèlerinages du passé, l’homme fort en revient plus robuste et mieux trempé, car s’il puise, à ces sources primitives, des consolations et du calme, il y puise aussi pour l’avenir des leçons salutaires et de magnifiques espérances.
Monté sur la plate-forme de la tour de Leuca, et assis sur un canon, j’embrassais la mer Ionienne dans toute sa beauté : elle était d’un bleu ravissant ; le vent la soulevait avec lenteur majestés, et brisée par les écueils du rivage, de les couvrait d’écume. La Grèce était là : la vague en venait ; cette idée me faisait battre le cœur. L’œil tendu sur les flots, j’épiais à l’horizon les monts Corfiotes. Mais quoique le temps fût splendide, une légère brume de mer élevait son rideau jaloux entre la Grèce et moi.
Enfin, il me fallut trop têt regagner les terres et revenir en arrière.
Si jusqu’ici j’ai parlé des champs plus que des villes, c’est que les champs ont un cachet qui leur est propre, et que les villes sont sans intérêt. Lecce, capitale de la province, passe pour la plus belle ville du royaume après Naples. Elle a beaucoup d’églises, quelques palais, des maisons spacieuses, mais pas un monument pur. Tout cela est d’une architecture chargée, et du genre dit rococo en argot d’atelier. L’édifice le moins incorrect est l’ancien couvent des Bénédictins, aujourd’hui affecté aux tribunaux.
Les couvents, du reste, ne manquaient pas : on en comptait plus de trente-six des deux sexes ; la plupart sont supprimés. Mais la disproportion entre ces vieux cloîtres et leur nouvel emploi, donne à la ville un air de tristesse et d’abandon. Ajoutez à cela sa dépopulation : capable de quarante ou cinquante mille habitants, elle n’en a que quinze ou seize mille tout au plus. Les rues sont larges, mais l’herbe y pousse ; et je ne sache pas un lieu d’Italie où ennui gagne plus vite. Leccé n’en passe pas moins pour la Toscane du royaume de Naples. Elle a de grandes prétentions à la pureté de la langue, à l’urbanité des mœurs ; et pour retire de ses penchants sociaux, elle se vante e posséder cinquante cafés.
C’est d’ailleurs une ville toute moderne, c’est-à-dire du moyen âge. Une comtesse de Leccé, aimée du roi Roger, donna le jour à Tancrède, noble et valeureux bâtard qui fut roi de Sicile.
C’est dans une plaine voisine qu’était l’antique ville de Rudiæ, patrie du vieux poète Ennius.
Ce que je préfère de beaucoup à la ville, ce sont les villages qui l’environnent. Ils sont tous d’une propreté et d’une élégance que je ne me lassais pas d’admirer. La plupart des clochers sont taillés en forme de mosquée, et les voyant briller au couchant, sur un ciel limpide et bleu, il m’arrivait maintes fois de me croire bien loin de l’Europe, dans les campagnes de Bagdad ou d’Ispahan.
Aussi bien cette province finale a-t-elle de tout temps irrité la convoitise des Turcs. Otrante, cette sentinelle avancée de l’Italie, fut possédée par eux toute une longue année du 15e siècle. Mahomet II faisait valoir les droits de l’empereur d’Orient sur l’Italie, et il était soutenu par les barons rebelles. Frappé à mort par le cimeterre ottoman, Otrante ne se relèvera jamais. Ce n’est plus qu’une bourgade maladive, angoissantes, et ce que les Italiens appellent un paesaccio.
Le maximum de la population ne dépasse pas 1,500 habitants, y compris la garnison et les gendarmes.
Otrante n’a pas un édifice digne d’être cité. La cathédrale a un caractère sombre qui la distingue de toutes les autres églises du pays, toutes brillantes et inondées de lumière. Les Napolitains craignent toujours de n’en pas donner assez à leurs temples, et cette profusion de clarté nuit au recueillement. La cathédrale d’Otrante est parée de mosaïques, dont les figures confuses et difformes ne sont guère intéressantes que pour l’histoire de l’art : c’est probablement un monument byzantin.
Mais l’extérieur de la ville rachète la laideur et la saleté de l’intérieur. La mer la protège d’un côté, de l’autre elle est défendue par une ceinture (les rochers d’une teinte ardente, dons le lierre et les arbustes de toute couleur déguisent la nudité. Ils sont creusés de cavernes, mais des bois d’orangers en masquent la ténébreuse entrée. C’est trop de luxe pour tant de misère.
Des hauteurs qui dominent la ville, on découvre l’Albanie et les gîtes de la Grèce, bien mieux encore que du cap de Leuca. La distance est de cinquante milles ; et l’importance de ce point maritime, véritable clé de l’Adriatique, avait, dit-on, fait naître au roi Pyrrhus, l’idée étrange, mais grandiose, d’unir en cet endroit Italie à la Grèce, par un pont de bateaux.
Grâce à l’incurie administrative, le port d’Otrante est à peu près inaccessible aujourd’hui : les vaisseaux sont obligés de se tenir en dehors ; et le commerce de la province a passé sur la rive opposée, à Gallipoli. Gallipoli est l’ancienne Callipolis. Ce n’est ni une belle, ni une grande ville, niais les abords en sont pittoresques. Elle est bâtie sur une île de rochers. Un point la joint à la terre-ferme. C’est un petit Livourne, et l’entrepôt de toute l’huile du pays. Soit paresse des indigènes, soit pénurie de capitaux, presque tout le commerce est aux mains des étrangers. Ils s’entendent et font la loi : de là, un monopole ruineux.
Gallipoli s’est longtemps vantée d’avoir donné le jour à l’Espagnolet. Mais il paraît aujourd’hui prouvé qu’il est né à Valence, en Espagne.
Une tradition locale dit que la ville était autrefois bâtie plus au midi ; et, en effet, à quelques milles dans les terres, on voit encore divers vestiges des murailles d’une grande ville détruite. Des tombeaux, des vases, et surtout des médailles d’or, d’argent et de cuivre, attestent que ce fut une ville grecque. Le lieu se nomme Radgi, et des antiquaires veulent que là ait été autrefois cette fameuse Salente aujourd’hui perdue, et que chacun place dans la Iapygie, au gré de son capice. Et les antiquaires ont beau jeu car la mystérieuse ville de Salente était déjà détruite au temps de Strabon, de Pline et de Ptolomée ; aucun des trois n’en fait mention.
La plaine de Gallipoli est commandée par le mont Hidro. Situé entre les deux mers, c’est le belvédère naturel de la presqu’île Salentine. Du faîte, on domine du coté de Gallipoli tout le golfe de Tarente, borné au midi par les montagnes de la Calabre ; du côté d’Otrante, c’est la mer Adriatique et les monts d’Albanie.
Gallipoli est la patrie de Philippe Briganti, jurisconsulte et économiste, dont le commentaire sur Florus a éclairci plusieurs points d’histoire romaine. Briganti est mort au commencement du siècle.
J’ai oublié de dire que Lecce avait donné le jour au marquis Palmieri, l’un des premiers Napolitains qui aient écrit sur l’économie publique des Deux-Siciles. Quoique ces deux noms n’aient guère passé le seuil de leur pays natal, Gallipoli et Lecce n’en sont pas moins très fières. C’est, du reste, un sentiment commun aux villes d’Italie ; toutes, et surtout celles du royaume de Naples, sont fort jalouses de leurs grands hommes. Ce sentiment d’affection, et l’orgueilleuse admiration, va s’affaiblissant à mesure que les lumières se répandent. La gloire naît des contrastes.
Passée à Otrante, puis à Gallipoli, la vie intime était toute concentrée jadis dans la ville de Brindes. C’est à Brindes que s’appareillaient ces flottes formidables destinées par les Romains à la conquête de l’Orient. Son port, effet, est un miracle de la nature, dans un pays si uni et si découvert : c’est une grande rade formée par deux jetées naturelles dont un château défend l’abord. Au fond du port est un canal, lequel communique à un bassin circulaire qui se développe autour de la ville, et qui devait être d’un admirable effet alors que les flottes romaines s’y balançaient fastueusement.
On distingue encore les pilotis que César avait fait planter à l’entrée du port pour y enfermer Pompée. De là date sa décadence. Ces pilons retinrent des amas de sable qui s’accumulèrent. Les Vénitiens achevèrent la ruine du port en y faisant couler à fond des bâtiments pleins de pierres. Toutes ces entraves n’avaient laissé qu’un passage très étroit, et si peu profond que les petites barques seules pouvaient arriver au bassin. L’eau ne s’y renouvelant plus, il devint un marais pestilentiel. On a fait depuis, quelques travaux pour élargir le canal : mais ils sont insuffisants, et le port n’en est pas moins à demi comblé.
Il ne reste plus rien du faste de Brindes, pas même des ruines. Il y a deux ou trois siècles qu’on voyait encore un théâtre, des thermes, un temple du soleil et de la lune ; tout cela a été détruit pour construire le fort de mer et le séminaire. Il ne reste plus qu’un fragment de murailles réticulaires à la porte de Naples, e un puits dont la construction intérieure rappelle la grandeur romaine.
Des deux colonnes qui s’élevaient sur le port, l’une s’est conservée entière par miracle ; il n’y a plus de l’autre que le piédestal et un morceau du fût renversé, couché en travers sans dont par un tremblement de terre. Ces deux colonnes étaient de marbre blanc ; elles avaient cinquante-deux pieds de haut ; mais elles manquaient de proportion, l’élévation du fût étant beaucoup trop grande pour le diamètre. On a beaucoup disserté sur leur destination. Comme elles faisaient face à l’entrée du port, on a prétendu qu’elles soutenaient un fanal ; mais cela est peu croyable. Il est plus probable qu’elles ne furent érigées là que pour marquer le terme de la voie Appia.
Décimée par le mauvais air, la population de Brindes est descendue, de cent mille habitants, à six mille. Elle passe pour fort peu civilisée et peu industrieuse. Les campagnes d’alentour sont de vraies steppes désertes et souvent marécageuses, où l’on peut marcher tout un jour sans rencontrer un visage humain et sans trouver un arbre où s’abriter du soleil.
Brindes est la patrie du poète tragique Pacuvius, le neveu d’Ennius ; et l’on sait que Virgile y mourut.
C’est à Brindes que la veuve de Germanicus débarqua les cendres de son époux, empoisonné dans l’Orient. Cette scène pathétique rappelle l’un des plus beaux morceaux, le plus beau peut-être des annales de Tacite, et rien, je l’avoue, pas même Pompée, pas même Horace, rien, à la vue de ces lieux déchus et mornes, ne me préoccupa davantage.
Au moyen âge, Brindes fut le théâtre de plusieurs solennités nuptiales. C’est à Brindes que furent célébrées les noces de Roger, fils aisé de Tancrède avec Irène, fille d’Isaac, empereur grec. Plus tard y furent célébrées celles ale Frédéric II avec Iole, fille de Jean de Brienne, qui avait obtenu le titre de roi de Jérusalem par sa femme, la reine Marie. Frédéric reçut ce titre en dot, lequel fut ensuite confirmé à Charles d’Anjou, d’où il est resté au roi de Naples. C’est à Brindes même, et en se mariant, que Frédéric avait été couronné roi de Jérusalem.
On fait remonter l’origine de Brindes à Diomède, même à Thésée, dont les compagnons, dit-on, la fondèrent au retour de l’expédition de la Toison d’Or.
Quant à Tarente, sa ruine n’est pas moins profonde. Antique rivale de Rome et sa maitresse en arts et en philosophie, elle n’est plus, comme Cotrone, qu’une méchante bourgade insignifiante. La ville moderne n’occupe même plus le site de l’ancienne : celle-ci se déployait sur la terre ferme ; celle-là est toute bâtie sur un îlot amarré au continent par deux ponts, et où s’élevait jadis un château fort.
« Cet angle de terre, écrivait Horace à son ami Septimius, me sourit plus que tout autre, le miel y égale celui de l’Hymète ; l’olive y lutte avec celle de la verte Vénafre : ici le printemps est long, et Jupiter y dispense des hivers tièdes. Aimé de Bacchus, le fertile coteau d’Aulone n’a pas à envier les raisins de Falerne. Ce lieu de délices, ces bienheureuses collines te réclament avec moi : c’est là que tu répandras les larmes d’adieu sur la cendre brûlante du poète ton ami. »
Le ciel Tarentin est bien aussi clément qu’au temps d’Horace : les printemps y sont aussi longs, les hivers aussi tièdes ; mais, livrées à elles-mêmes, les collines n’ont plus ces vins exquis, les vallées n’ont plus de miel ; l’olivier règne encore et règne seul, il a tout détrôné ; ses teintes grises et monotones ont envahi la campagne. Le fleuve Galèse n’est plus qu’une rigole, et, quand on l’a vu, il faut l’oublier pour prendre de nouveau plaisir aux idylles d’Horace et de Gessner. Ainsi, ce n’est pas seulement la ville et ses habitants qui ont changé, c’est la nature elle-même.
Le temps a balayé jusqu’aux ruines. Pas un monument de l’ancienne république n’est, je ne dis pas debout, mais reconnaissable. Quelques belles colonnes transportées dans la cathédrale, sont tout ce que j’ai trouvé. Les unes sont de marbre rouge, les autres de vert antique. Mais, le plaisir de contempler ces antiques dépouilles, fut chèrement payé par la nécessité où je fus d’avaler le trésor et les reliques de saint Cataldo, patron de la ville. Je vis aussi quelques vases grecs dits étrusques, mais de peu d’intérêt, et beaucoup de médailles de la république. Elles portent, pour la plupart, une tête de femme, et au revers un homme à cheval sur un poisson, symbole de la ville ancienne.
La population moderne est composée de gentillâtres ruinés et de pêcheurs. Les hommes sont en général bien faits, et les femmes se distinguent souvent par une régularité de traits tout-à-fait grecque. Les habitants ont d’ailleurs conservé les goûts calmes et les molles habitudes de leurs ancêtres. Une industrie tarentine, industrie vraiment monacale, consiste à fabriquer les tableaux et des vases avec des coquilles de toutes couleurs et de toutes formes. Et en cela les amateurs sont bien servis, car ce que la mer jette de crustacés dans ces parages est prodigieux. Le poisson n’y est pas moins abondant.
On y pêche, entr’autres, le murex, ce coquillage merveilleux avec lequel les anciens faisaient la couleur pourpre ; le secret en est perdu. II avait été apporté à Tarente par les Tyrriens, les seuls qui le possédassent. Ce fait semble confirmer l’opinion des historiens qui font de Tarente une colonie phénicienne remplacée ensuite, mais beaucoup plus tard, par les Lacédémoniens sous la conduite de Phalante.
Tarente a baptisé un insecte devenu célèbre sous le nom de Tarentule, et une danse indigène qui ne l’est pas moins en Europe sous le nom de Tarentelle.
La Tarentule, sur laquelle on a fait tant d’histoires, est une espèce d’araignée dont la piqûre produit réellement une irritation nerveuse que la musique soulage. Quand elle trouve un corps sain, la blessure n’est pas dangereuse ; mais, si elle rencontre un germe vicié, l’irritation devient chronique et ne se guérit guère. Un médecin du pays m’a donné là-dessus des renseignements précieux ; lui-même s’est fait piquer au bras ; il éprouva les symptômes nerveux que je viens de dire, et de plus un grand malaise d’estomac ; mais il guérit après quelques jours. Les savants considèrent en général comme des fables tout ce qu’on a débité sur la piqûre de la Tarentule, comme produisant le tarentisme, ou besoin immodéré de la danse qui va jusqu’à l’épuisement. Peut-être ne faut-il voir là qu’une de ces associations d’idées si communes chez les peuples à imagination ardente. On aura associé, par un lien de cause à effet, deux phénomènes distincts, qui n’ont d’autre rapport que d’apparaître aux mêmes lieux : à l’existence de la Tarentule on aura appuyé l’existence de la Tarentelle.
La Tarentelle ! Tout le monde la connaît ; c’est une danse volcanique comme les émotions qu’elle exprime ; c’est l’histoire d’une passion méridionale à tous ses âges, dans toutes ses phases. Tout geste est une idée, toute pose un sentiment. La danse est d’abord contrainte, pudique, irrésolue, ravissant emblème des combats intimes d’un amour silencieux ; puis, quand la passion déborde et triomphe, la danse s’anime, s’emporte et passe de la timidité à l’audace. On résiste, elle attaque ; on recule, elle poursuit, elle entraîne, et bacchante enivrée, bacchante en délire, elle se précipite en aveugle à la volupté. Pour apprécier ce poème, dont l’amour est le héros, et où on le voit naître, grandir, lutter et vaincre, il faut le voir danser sous les cieux qui l’ont inspiré et par le peuple qui l’a composé. Il faut voir les belles Tarentines voltiger sur la pelouse, la castagnette en main, au son de la guitare et du tambour basque indigène ; autrement on ne peut ni goûter ni comprendre la Tarentelle.
Je parcourais ces lieux en hiver ; l’hiver est la saison du pays, l’été y est trop chaud ; la campagne était émaillée de femmes occupées à recueillir les olives ; ce n’était partout que chants et danses ; le voyage était un enchantement continuel ; et je me souvenais, à chaque pas, que le grand musicien Paesiello est né à Tarente. C’est là en effet qu’il devait naître, car c’est vraiment un pays d’harmonie. Il y a de la musique dans l’atmosphère, et l’on trouverait, sans nul doute, dans les airs villageois, plus d’un motif fécondé et illustré plus tard par le grand maître.
Nul point de ce riant paysage ne m’est resté plus profondément gravé dans la mémoire que Manduria, petite ville antique entre Tarente et Lecce. Ce fut primitivement une colonie Tyrienne qui plus tard devint grecque. On y voit encore des sépultures et des murailles antiques. Mais j’étais moins occupé de ces insignifiants vestiges que de l’aménité des campagnes. Quoi qu’elles soient plantées d’oliviers, les métairies sont si artistement disposées et d’une architecture si élégante et si légère, qu’elles triomphent de la monotonie qui d’ordinaire s’attache aux olivets.
Toutes les femmes de Manduria étaient dans les champs, portant aux bras de petits paniers de jonc qu’elles remplissaient d’olives en chantant. Toutes ces voix étaient fraîches et argentines. Les groupes répondaient aux groupes comme s’ils se fussent entendus pour chanter en partie.
Quand venait le soir, on se réunissait de toutes parts autour d’une fontaine ou sous un chêne, les garçons avec leurs guitares, les filles avec leurs castagnettes et leurs tambours de basque ; on allumait un feu, on prenait en commun un repas champêtre, le fiasco rustique circulait de main en main, puis l’on dansait jusqu’à ce que la nuit chassât dans les chaumières les joyeux acteurs de ces pastorales improvisées. Ce sont en effet là autant d’idylle toutes faites, qui n’attendent, pour passer à la postérité, que la muse de Théocrite ou d’André Chénier.
(Charles Didier)
TERRE DE BARI. — Bari. — Marines. — Villes de l’intérieur. — Barlette. — Champ de bataille de Cannes. — Canose. — CAPITANATA. — Tavolier de Pouille. — Manfredonia. — Pélerinage au Mont-Gargano. — Lucérie. — Val de Bovino. — Sortie des Pouilles.
C’était le 5 Janvier. La lune brillait, les étoiles scintillaient dans les eaux de l’Adriatique, l’air était presque froid. Fatigué d’une longue journée pédestre, et surpris par la nuit en pleine campagne, je vis tont-à-coup resplendir au loin les clartés multipliées et vivantes d’une ville. C’était Bari, capitale de la province nommée de son nom Terre de Bari.
Il était grand temps d’arriver, car il se faisait tard et j’étais las. Je venais de Brindes. Seul toujours, et quoiqu’à pied, j’avais fait en deux jours, et deux jours d’hiver, les quarante milles et plus qui séparent les deux villes. Plus de la moitié se fait dans le désert. Jusqu’à Ostuni, dernière ville de la Terre d’Otrante, on ne trouve pas un village, pas une maison. C’est une vaste plaine toute couverte de bruyères stériles, et souvent pavée de grands bancs de tuf incrustés de coquillages pétrifiés. Cette plaine solitaire s’en va mélancoliquement mourir à la mer avec laquelle elle se confond. De loin en loin, s’élève quelque bouquet de bois, quelque maigre plantation d’oliviers, puis les arbres disparaissent, cédant la place aux landes. La Via Appia passait par là ; par-là passèrent Virgile qui allait mourir à Brindes ; Horace qui s’y allait divertir ; Pompée fugitif ; César, son vainqueur, tant de grands hommes de guerre, tant de grands hommes de paix, que le nombre en est incalculable. Le prestige de tant de noms illustres peuple de souvenir ces austères solitudes.
On distingue encore çà et là quelques dalles intactes de la voie antique, et je découvris moi-même au milieu de la plaine un vaste fragment de construction réticulaire. Était-ce un temple ? Une villa ? Un tombeau ? C’est ce que je ne saurais dire. Tout ce que je puis affirmer, c’est que c’est un débris romain. La solitude de ces parages est si profonde que de tout le jour je ne rencontrai qu’une seule figure humaine : c’était un pauvre soldat fatigué qui se rendait à Brindes.
La plaine franchie, on passe sous les vertes collines d’Ostuni ; la ville, l’un des plus beaux points de vue de la province, s’élève beaucoup plus haut, coquettement cachée dans les oliviers. Ces collines finissent par devenir assez pittoresques ; elles ressemblent aux coteaux hybléens de Sicile. C’est là que finit la Terre d’Otrante, et que la Terre de Bari commence ; mais tout ce pays, et bien haut encore jusqu’au fleuve Fortore, qui forme la limite du Samnium, tout le pays est connu sous le nom générique de Pouille. C’est l’ancienne Apulie.
À Ostuni, la nature se peuple et s’égaie ; le sol devient inégal et accidenté. Le noir caroubier se mêle au pâle olivier. De grandes et opulentes métairies sont semées dans la campagne jusque-là déserte ; ailleurs, c’est quelque chapelle isolée, champêtre monument de la dévotion villageoise ; puis redescendant à la côte, dont la route s’est éloignée de quelques milles, on arrive à Monopoli, le premier anneau de cette longue chaîne de villes qui se déroule avec grâce le long de la côte baroise jusqu’à l’Ofanto. On n’en compte pas moins de trois avant d’arriver à Bari de ce côté-ci, et cinq au nord ; ce qui fait, y compris Bari, la capitale, neuf villes, sur une ligne de côte de dix-huit lieues.
Monopoli, la première, est une charmante petite cité gaie, bien aérée, bien peuplée, qui a une belle cathédrale et des environs charmants. La mer forme à l’entour des anses gracieuses ; la vague ne vient plus comme aux maremmes de Brindes, expirer silencieusement sur une grève sablonneuse et muette ; elle se brise ici contre les rochers, dont le rivage est bordé, et volant en mille éclats, sa bruyante écume, étincelle au soleil comme une pluie de diamants. Toute cette côte est pittoresque. Tantôt c’est une ancienne carrière abandonnée, pleine de ronces et d’arbustes vivaces ; tantôt c’est une large citerne qu’ombrage la large feuille du figuier, et où le troupeau vient s’abreuver le soir en bêlant.
Après Monopoli, vient Polignano, petite ville du même genre, quoique moins élégante et moins populeuse. Mais ces maisons méridionales, sans toiture, font toujours effet ; il semble qu’on traverse Pompéi. Nous n’avons, nous autres septentrionaux dont les maisons sont tout en toit, nous n’avons pas l’idée de la grâce que le toit enlève aux édifices. Il les écrase. Polignano est bâtie en partie sur les rochers ; sous l’un de ces rochers à pic, et sous la ville même, s’ouvre une vaste grotte de près de cent pieds de hauteur, sur deux à trois cents de profondeur. La mer la remplit tout entière, et l’on n’y peut pénétrer qu’en bateau, comme dans les fameuses grottes de l’île de Capréc. La limpidité de l’eau y est merveilleuse, et la lumière produit dans les demi-ténèbres de la caverne des reflets mystérieux et poétiques. On l’appelle dans le pays Grotta di Palazzo, sans doute parce qu’autrefois quelque palais dont on distingue encore aujourd’hui plus d’un vestige, couronnait le rocher qui lui sert de ciel. Des figuiers d’Inde et un palmier, un seul, forment la décoration du paysage.
Un peu plus loin est un grand édifice blanc assis à la pointe d’un promontoire. C’est l’ancienne abbaye de San Vito ; elle a plus l’air d’un palais que d’un monastère. La légende est que le fils d’un prince de Lucanie, San Vito, fit don de ce territoire à des Cordeliers qui, en revanche, lui donnèrent à lui et aux siens la vertu d’empêcher les chiens de devenir enragés. Il n’y a plus de moines aujourd’hui, et si la philosophie s’en félicite, le voyageur a lieu de s’en plaindre, car il en est réduit maintenant à acheter à prix d’or, dans la sale taverne qui s’est nichée là, une hospitalité que le cloître lui prodiguait jadis magnifiquement. Il est vrai que sa révérence le Père Prieur palpait cinquante mille livres de rente. Une muraille d’enceinte le préservait de la visite importune et couteuse des barbaresques. La situation du monastère est délicieuse, et l’architecture en est élégante quoiqu’irrégulière. L’escalier surtout est hardi et mène sur une terrasse à portiques, qui a vue sur la plus belle mer du monde. Au-dessous est un petit port où abordent les bateaux de pêcheurs.
Plus haut, dans les terres, est la ville de Conversano, fief de ce fameux comte de Couversano qui fit une guerre si acharnée aux brigands de l’Abruzze. C’était au seizième siècle : Don Juan de Zunica, comte de Miranda, était alors vice-roi d’Espagne, à Naples.
Sorti du couvent, on entre dans une forêt d’oliviers à laquelle succède un bois de myrtes tout à fait digne des mythologiques bosquets de Gnide et de Paphos. Puis vient Mola, sœur de Polignano et de Monopoli ; même site, même architecture ; rien ne la distingue d’elles, rien, pas même le perfide et assassin télégraphe, hissé comme un géant funeste sur la plus haute tour. Mola est le dernier lieu habité que l’on trouve avant Bari d’où nous sommes partis tout à l’heure, et où nous voici revenus de notre excursion rétrograde.
Ce soir-là donc, j’étais las, et la méchante auberge de l’endroit me parut un lieu de délices. Le lendemain, je fus désappointé : je m’attendais à trouver dans Bari quelque chose d’original ; je supposais à une ville si célèbre aux jours du Bas-Empire, une physionomie toute byzantine ; je me trompais, il n’en est rien. Bari n’a rien de grec que son histoire. Ses monuments ne le sont pas, ou pour parler avec plus d’exactitude, Bari n’a point de monuments. Sa cathédrale est de mauvais goût. L’église de Saint-Nicolas — le saint Nicolas de Bari est célèbre en Italie — me plairait davantage si l’intérieur, qui menaçait ruine, n’avait été défiguré par des arcs-boutants massifs. Le plafond est doré et orné de peintures dont quelques-unes ne sont pas sans mérite. La ville vieille est sale, tortueuse, mal bâtie, et malgré cela sans caractère. Le faubourg est plus fringant, plus riche, plus moderne, et par cela même il a moins de caractère encore. Je me consolai de mon mécompte par la contemplation de la mer Adriatique, bleue et limpide comme un lac suisse.
Une autre consolation, c’était la vue des femmes dont l’essaim gracieux emplissait les églises. Elles étaient toutes en habits de fête pour célébrer l’Epiphanie (les Rois), et toutes me paraissaient belles.
Après bien des vicissitudes politiques, le duché de Bari fit quelque temps partie du duché de Milan, et il ne fut définitivement incorporé au royaume de Naples que vers 1557. Je ne veux pas omettre de dire que Bari fut la patrie de Maïon. Fils d’un marchand d’huile, Maïon s’éleva de cette condition obscure à celle de grand-amiral chancelier et premier ministre de la monarchie sicilienne, alors l’une des premières de l’Europe. C’était au douzième siècle, sous le règne de Guillaume le Grand, dit ensuite le Mauvais. Arrivé là, le fils du marchand d’huile eut le sort de beaucoup de ses pareils, la tête lui tourna. Il conspira la ruine du souverain pour se mettre à sa place ; il s’allia dans ce dessein avec l’archevêque de Palerme, et finit par tomber sous le poignard d’un autre factieux, mais d’un factieux féodal, Matthieu Bonnella, seigneur de Mistretta.
Il parait qu’au moyen-âge, l’air de Bari soufflait la révolte comme il souffle aujourd’hui la résignation. Déjà un siècle avant Maïon, Bari avait donné le jour à un autre factieux, le riche et turbulent Mello. Exilé par les Grecs au Mont Gargano, c’est lui qui proposa aux pèlerins normands la conquête de la Pouille.
Toute déchue qu’est Bari, et quoique le commerce y soit aujourd’hui réduit à un misérable cabotage, le marin barois a conservé une réputation d’intrépidité ; montés sur de frêles parancelles non pontées, les pécheurs s’en vont affronter, des saisons entières, tous les accidents, tous les caprices de l’Océan.
Passé Bari, la chaîne de villes continue : vient d’abord Giovenazzo [Giovinazzo] puis Molfetta, puis Bisceglia [Bisceglie], trois villes sans aucun intérêt, ni d’architecture, ni d’art, et tout-à-fait semblables aux villes déjà traversées. Trani, que l’on trouve ensuite, est plus considérable, et a quelque chose d’une capitale. Elle a des maisons qui méritent presque le nom de palais, bâties en belle pierre taillée en diamant. La cathédrale non terminée est un beau monument de l’architecture normande. L’intérieur est noble et grandiose. Le port fut jadis comblé dans l’intérêt du négoce vénitien, par la république aristocratico-mercantile de Saint Marc. Trani est le siège des tribunaux de la province, et l’on venait de fusiller quatre habitants, gens comme il faut, galantuomini, de la petite ville voisine de Corato, qui avaient arrêté et volé le procaccio l’Altamura. Un cinquième s’était empoisonné avec un vésicatoire. Neuf autres, tous complices du même crime, avaient été condamnés à différentes peines.
La campagne autour de Trani est déserte, mais couverte d’une multitude de ces petites huttes de pierre, bâties sans chaux, dont nous avons vu les classiques modèles au cap de Leuca.
La dernière ville maritime de la Terre de Bari, et comme le dernier anneau de la chaîne, c’est Barlette, cité illustre à plus d’un titre ; mais avant d’y entrer, quittons quelque temps les marines, et faisons, pour varier, une percée dans les terres. La physionomie de l’intérieur est uniforme : c’est une plaine sans bornes, surface plate et si unie qu’on y découvre un cavalier à trois milles, et qu’un chardon paraît un homme. C’est là que commence la Pouille plane, Puglia Piana, qui certes a bien mérité son nom. C’est un sol pauvre d’arbres, riche en avoine et en blé ; zone torride en été1 ; en hiver, tiède et verte prairie. Les accidents naturels y sont très rares, y sont nuls : ce sont toujours les mêmes horizons, partout les mêmes spectacles. Les marines, nous l’avons vu, sont plus pittoresques. Cependant ces vastes plaines ont un charme ; si elles manquent de variété, leur grandeur même crée de majestueux horizons et d’immenses perspectives. C’est une nature propre à la rêverie et dont le calme, le silence, apaise et inspire-je ne sais quelle sérénité intérieure que les montagnes ne donnent point.
Les terres sont presqu’aussi peuplées que les côtes. Une seconde chaîne de villes se déroule parallèlement à l’autre. Il serait trop long et fastidieux de les citer toutes. Les principales sont : Bitonto, célèbre par la bataille qui arracha le royaume de Naples à la domination autrichienne et mit sur le trône l’infant don Carlos ; Terlizzi qui possède un beau médailler grec ; Ruvo, ancienne ville grecque, par où passait la voie Appia, et dont parle Horace, dans sois voyage à Brindes ; on découvre à l’entour et au milieu des villas, quantité de sépulcres, et de ces vases italo-grées dits étrusques. Ruvo occupe presque le centre de la province, et bâtie sur une éminence, elle la domine tout entière. Non loin, et au pied d’une chaîne de collines basses, dites les Murgie, s’élève, dans la solitude, un autre belvédère non moins imposant, et qu’on voit de partout : c’est le château du Mont, vieille et somptueuse forteresse bâtie par l’empereur Frédéric II, aujourd’hui abandonnée aux choucas.
Beaucoup plus avant dans les terres, et sur les extrêmes confins de la province, du côté de la Basilicata, il y a deux villes qu’on ne peut passer sous silence : la plus méridionale est Altamura, cité infortunée qui paya cher, en 1799, son dévouement à la liberté, et dont le siège acharné marque dans les saturnales sanglantes de la monarchie. C’est une des plus affreuses tragédies des temps modernes. Les abominations qu’on en raconte ne seraient pas croyables si elles n’étaient attestées par des témoins oculaires des deux partis. Le cardinal Ruffo commandait le siège en personne, et la place était défendue par les habitants, au nom de la république parthénopéenne. Leur résistance fut héroïque, mais inutile ; la ville fut prise d’assaut. Tous ceux qui ne purent pas fuir furent massacrés ; les moines qui avaient embrassé le parti républicain, eurent le même sort ; puis l’armée chrétienne, c’est le nom que Ruffo donnait à ses infimes bandes royalistes, se rua sur les femmes comme une troupe de bêtes féroces, et c’est alors que furent commises les plus révoltantes atrocités, digne prologue de la tragédie jouée bientôt après dans la capitale.
La forteresse d’Altamura avait servi de prison quatre siècles plus tôt à Othon de Brunswick, dernier époux de la reine Jeanne Ire. La cathédrale est sombre et austère.
Plus près encore de la Basilicata et à quelques milles seulement d’Altamura, est Gravina, l’une des villes les plus pittoresques qui soient dans le royaume de Naples. Tirées des vastes rochers de tuf, dont le sol est jonché, et se confondant souvent avec eux, les maisons sont jetées pêle-mêle au bord du précipice, sur les flancs de deux montagnes, unies par un pont à deux rangs d’arches qui rappelle celui de Corigliano en Calabre. On entre dans la ville par un chemin périlleux taillé dans le roc. La verdure se mêle aux édifices, et quoique sottement modernisée, la cathédrale, l’une des plus belles du royaume, couronne l’œuvre de ses arceaux gothiques. Elle est d’ailleurs merveilleusement située. Sous la ville, dedans, autour, partout s’ouvrent d’innombrables cavernes de toute grandeur, de toute forme, qui servent aujourd’hui de retraites aux troupeaux. Elles en servirent, dit-on, jadis aux hommes, aux dieux, et l’on y retrouve des traces d’habitations et même de temples. Le dehors est digne du dedans. C’est une plaine mélancolique, muette, sans limites. Il n’y a d’arbres que deux cyprès immobiles devant un couvent isolé ; de bâtiments que le couvent lui-même ; et à quelque distance, dans le désert, la chapelle délaissée de Sainte-Marie-des-Grâces.
Mais je reviens à Barlette [Barletta]. Ce ne sera pas pour longtemps, car un lieu voisin, lieu classique s’il en est un dans l’histoire, la plaine de Cannes, nous réclame et nous fait presser le pas. Hâtons-nous donc d’escalader le haut clocher de la cathédrale, belvédère aérien, d’où tous les lieux vus et à voir vont se dérouler sous nos pieds comme une carte. D’un coté, la mer sans bornes ; de l’autre, la plaine sans bornes aussi. Que d’air ! Que d’espace ! Une nappe de verdure à perte de vue s’étend du golfe de Manfredonia au golfe de Tarente, foule tachetée de villes et de villages. En face et par-delà les limites de la province, s’élève en pleine Basilicata le Mont Vulture, volcan éteint et isolé, découpé en triple diadème, comme le Mont Blanc. Au nord, le Mont Gargano ferme l’horizon ; au midi, le château du Mont se dresse comme un géant dans la solitude, et plus près de la mer, les clochers aigus d’Andria percent la nue.
Barlette est du reste une jolie ville, avec un château souabe, une cathédrale gothique, des rues larges et propres, des maisons bien bâties, et un air de vie et gaîté. Elle ne possède en fait d’art qu’une statue de bronze, colossale, représentant, les uns disent Andronicus, d’autres. Heraclius, d’autres encore, Rachisio, duc de Bénévent. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle est du Bas-Empire, lourde et de mauvais goût. Les jambes sont modernes et détestables.
Mais je sortis de la ville de Barlette moins occupé de tout cela que des souvenirs du roi Manfred, prince-chevaleresque qui aimait ces contrées, et y tenait une joyeuse cour, chevauchant et courant les aventures.
À peine hors des murs, je me jetai en pleine campagne, au sein d’un vaste pâturage semé de troupeaux sans autres pasteurs que des chiens hostiles et bruyants. La plaine est parfaitement unie, presque partout inculte. Çà et là, quelques bergeries. D’abord élevé, le sol s’abaisse tout d’un coup, et l’on arrive sur le champ de bataille de Cannes. Une chaine de collines basses, appelées par Polybe Monts de Cannes, court à l’Orient : à l’Occident coule l’Ofanto, l’ancien Aufidus. À l’autre bord du fleuve est une métairie nommée Papaletto, près de laquelle est le champ dit Pezza di Sangue. On a cru et on a publié que ce nom terrible était un monument de la grande défaite. C’est une erreur, ce nom est bien plus moderne, et ne rappelle qu’une escarmouche du moyen-âge. D’ailleurs la Pezza di Sangue est à la rive gauche de l’Ofanto, et la bataille se donna sur la rive droite.
Quelqu’intérét qui s’attache aux événements sur les lieux qui en furent le théâtre et qui sont consacrés pour eux, ce n’est pas ici le cas d’entrer dans les détails stratégiques de cette grande tragédie militaire, la plus mémorable de l’antiquité, sinon par les résultats, du moins par le nombre des victimes. Il ne périt pas moins de soixante mille Romains. Les deux proconsuls, vingt-neuf tribuns militaires, plus de quatre-vingts sénateurs et le consul Paul-Emile restèrent sur le champ de carnage. Annibal fit dix mille prisonniers. Polybe affirme qu’il dut, en grande partie, la victoire aux auxiliaires Gaulois qui servaient sous ses drapeaux. Le puits au bord duquel vint expirer Paul-Emile, Pozzo di Emilio, est encore intact. C’est une source couverte d’une voûte ; elle est là au pied mime de la colline, et non, comme l’ont prétendu des antiquaires, à Egnatia, ancienne cité peucétienne, située à quatre-vingts milles de Cannes, entre Brindres et Bari.
Les vertus romaines ne sont guère de mode aujourd’hui, et le goût du jour trouve cela bien suranné ; tant pis pour le goût du jour, car je ne sais rien de plus héroïquement simple que la mort de Paul-Emile. On sait qu’il n’avait pas voulu le combat ; mais obligé dc céder à son médiocre et présomptueux rival, il n’avait pas boudé pour cela, et n’en avait pas moins payé de sa personne, jusqu’à se faire tenir dans la mêlée. Blessé à mort, il rendait le dernier soupir assis, sanglant, sur une pierre. Le tribun Lentulus passa devant lui. — « Emile, lui dit-il, prends mon cheval, mets-toi en sûreté ; n’ajoute pas ta mort au désastre de la journée.» — « Lentulus, répondit tranquillement le consul, va, ne perds pas à vouloir sauver un mourant le temps de te sauver toi-même, va dire au sénat de fortifier Rome et de pourvoir à la défense de la république avant l’arrivée de l’ennemi. » — Voilà comme on meurt dans les républiques ; la dernière pensée est pour l’État. Aujourd’hui, un général au lit de mort appelle son valet-de-chambre : — « La Fleur, lui dit-il, prends ce portefeuille et va encaisser mes lettres de change. » Autres temps, antres mœurs.
Préoccupé, et je l’avoue sans rougir, attendri par ces nobles souvenirs des antiques vertus républicaines, je faisais de bien tristes retours sur nos jours d’égoïsme, de peur et d’avarice. Appuyé contre une colonne miliaire de la voie Appia oubliée là par le temps au bord d’une fontaine, je contemplais, avec une émotion muette, ce champ de mort où tombèrent en un seul jour tant de braves, et où le barde de Morven aurait vu tant d’ombres errer sur les nuages. L’Ofanto glissait sans bruit dans son lit de sable; la plaine se déroulait silencieuse et déserte; quelques vestiges de tombeaux antiques étaient dispersés autour de moi; une paisible bergerie, qui a conservé ce nom terrible de Cannes, était là à mes pieds avec ses troupeaux bêlants; chassés, par les neiges, de leurs montagnes natales, quelques pâtres abruzzais, hommes simples et hospitaliers, m’entouraient avec étonnement : l’un s’occupait à traire une chèvre rétive pour m’en offrir le lait écumant dans la tasse de bois, un autre remuait la poussière avec sa houlette ferrée en forme de bâton augural afin d’exhumer pour moi quelque corniole antique on quelques-uns de ces débris d’armes et de cuirasses dont cette terre est si féconde; un troisième, me prenant pour magicien et chercheur de trésors, car un trésor est enfoui dans toutes les ruines, se glissait furtivement à mon oreille, et me demandait, à voix basse, les numéros sortants de la loterie. Cette bucolique en action formait un contraste étrange avec le lieu qui en était le théâtre, et dans la naïveté de leur grosse et bonne ignorance, ces enfants de la montagne ne comprenaient rien à ma tristesse rêveuse et investigatrice.
Tout-à-coup le vent m’apporta les sons lointains d’une harpe. Était-ce quelqu’un de ces bardes mystérieux, de ces génies aériens des mythologies calédoniennes ? C’étaient deux joueurs de harpe ambulants qui s’en allaient vers Barlette, en fredonnant : Tu vedrai la sventurata et Nel furor della tempesta, airs alors nouveaux de Bellini ; car en ce temps-là le jeune cygne ne faisait encore que d’essayer sa voix mélodieuse ; et voilà que le jeune cygne s’est déjà tu. Où s’est-il donc envolé ? Cependant les deux troubadours ambulants se perdirent dans la vaste plaine, la plaine où dort Paul-Emile, et les sons mélodieux s’évanouirent dans l’espace.
M’arrachant à la sincère hospitalité des pâtres qui voulaient me retenir pour la nuit dans la Posta, c’est le nom consacré au manoir pastoral, j’allai coucher à Canose, ville semi-grecque, semi-latine, où l’on parlait les deux langues, d’où l’épithète de Bilingues donné à ses habitants. Elle s’élève pyramidalement sur une colline, et de loin fait un bel effet, mais de près ce n’est qu’un amas sale et confus de mauvaises maisons et de mauvaises rues. L’église cathédrale, Chiesa Madre, est riche de colonnes antiques enlevées çà et là aux temples païens. Bohémond, fils de Robert Cuissard, y est enseveli. On voit encore à Canose beaucoup de restes de tombeaux anciens. Un assez beau, découvert en 1817, passe pour celui de Musa, celte femme opulente et magnifique qui traita si bien les Romains après la défaite de Cannes ; mais c’est une supposition sans preuves, sans probabilité, un baptême tout-à-fait gratuit.
À quelques milles plus en avant dans les terres, est la petite ville de Minervino dont le nom n’a pas besoin de commentaire. Une grotte aujourd’hui consacrée à l’archange Michel, l’était jadis à Minerve ; une statue mutilée trouvée là passe pour celle de déesse.
À une demi-lieue de Canose, en descendant à l’Ofanto, on trouve un assez médiocre arc de triomphe en briques, puis on passe le fleuve sur un pont, et l’on entre dans la Capitanata, troisième et dernière province des Pouilles. À peine y a-t-on fait quelques milles, qu’on traverse un nouveau champ de bataille dont la gloire toute moderne n’atteint pas à la gloire de Cannes, mais marque pourtant dans les annales du seizième siècle ; c’est Cerignola, ville chétive et insignifiante, où le duc de Nemours fut défait (1503) par Gonzalve de Cordoue, malgré l’intrépidité chevaleresque de Bayard. Cette défaite coûta à la France le royaume de Naples, qui passa alors tout entier dans le sceptre de ce Ferdinand, dit le Catholique, qui serait beaucoup mieux baptisé le Punique.
La Capitanata rappelle par son nom le Bas-Empire et le règne des Capitans. La nature y ressemble à celle que nous gainons : même sécheresse, même nudité, mêmes plaines sans limites. De grands troupeaux de chevaux errent en liberté au sein des pâturages. La Capitanata est le centre du Tavolier de Pouille. Voulant soulager et assister les Abruzzais qui sont fort pauvres, et qui manquent de terre, le roi Alphonse d’Arragon fit venir d’Espagne des moutons qu’il leur distribua, avec le droit de les faire pâturer entre le fleuve Fortore qui borne la Pouille au nord et l’Ofanto. C’est là ce qu’on appelle le Tavolier. Par des décrets subséquents, ces pâturages furent affermés, et sont encore aujourd’hui. C’est un peu comme la Mesta d’Espagne.
Foggia qui est le centre du Tavolier, est aussi la capitale de la province. C’est une ville insignifiante. Charles d’’Anjou y mourut de rage au moment où il complotait la vengeance des Vêpres Siciliennes. L’empereur Frédéric II était mort dans un hameau voisin. Il y a à Foggia d’énormes dépôts de blé ; on le conserve dans des fosses comme au Maroc, et le peuple meurt de faim sur la pierre qui les scelle. O miracle de l’économie politique !
À quelques milles de Foggia on voit, au milieu d’un champ triste et nu, je ne dirai pas les mines, car il n’y en a aucune, mais le site de la ville d’Arpi, l’une des plus anciennes cités grecques de l’Italie. Fondée par Diomède à son retour de la guerre de Troie, elle fut regardée comme la capitale de l’ancienne Apulie ; et son histoire, ou du moins le peu qu’on en sait, se rattache aux traditions primitives de la république européenne. Il ne reste rien d’elle que quelques médailles exhumées par la charrue : mais son nom n’est pas mort, et le lieu s’appelle Campo d’Arpi.
Une idée fixe de voyageur me poussait par une force irrésistible à Manfredonia ; peut-être parce que ce nom se trouve dans un roman d’Anne Radcliffe, qui à douze ans faisait mer délices. Je fus trompé dans mon attente : le golfe de Manfredonia n’est ni pittoresque, ni riant, bordé qu’il est de prosaïques salines et de marais pleins de buffles. C’est un site triste et monotone : et quant à la ville, ce n’est qu’une bourgade sale caractère, dominée, ou plutôt écrasée d’un lourd château. Elle n’a pour elle que d’avoir été fondée par le roi Manfred, qui lui a donné son nom. L’ancienne cité de Sipontum a laissé le sien à une petite chapelle gothique dédiée à sainte Marie de Siponto. Elle s’élève solitairement à un mille de la ville, et elle est assez riche en tutu-beaux et en débris antiques.
Manfredonia est au pied du Mont-Gargano, qui s’avance en promontoire dans la mer, et forme l’éperon de la botte italique. Cette montagne, isolée au bout des plaines apuliennes comme le mont de Circé l’extrémité des maremmes romaines, est calcaire comme lui, et comme lui dut former une île aux époques antérieures du globe.
Le Mont-Gargano a un pèlerinage célèbre depuis dix siècles ; c’est celui de l’archange Michel, dans la ville nommée de son nom : Mont-Saint Ange. C’est de là que les quarante pèlerins normands de l’onzième siècle s’élancèrent à la conquête des Deux-Siciles.
Le classique sanctuaire occupe le haut de la montagne. L’époque du grand pèlerinage est au mois de mai. Je le fis au mois de janvier, et par un pied de neige, ce qui m’attira une considération marquée, et me mit presque en odeur de sainteté. Venir de si loin et dans une pareille saison pour baiser les pieds du divin archange, quelle foi ardente, courageuse ! Était-ce dévotion spontanée ? Était-ce pénitence ou repentir ? Venais-je expier un crime ou faire un simple acte d’adoration volontaire ? Voilà les questions que s’adressaient les gens du lieu, et certes ils étaient loin du vrai ; pèlerin de la nature, et non de leurs idoles, j’étais peu digne de la canonisation qu’ils me prodiguaient. Je n’en eus pas moins, malgré moi, tous les honneurs. À peine eus-je mis le pied dans la ville, que la population m’entoura, surtout les femmes. Enveloppé dans mon manteau, et tout hérissé de frimas comme le vieillard mythologique, je traversai la foule au milieu des Pater et des Ave. Le Seigneur t’accompagne ! répétaient mille voix, et l’on se signait sur mon passage. Quelques-uns même s’agenouillaient comme pour implorer ma bénédiction. Plus d’une femme baisa furtivement le pan de mon manteau. Une, plus ardente que les autres, me saisit la main et la porta à ses lèvres. Elle était jeune et jolie.
Une autre, mais celle-là n’était malheureusement ni l’un ni l’autre, s’empara de moi et me conduisit dans sa maison, au grand désappointement de l’apothicaire, qui avait évidemment des vues sur le pèlerin, et qui aspirait à l’honneur d’être son hôte ; mais la matrone prit les devants. Elle m’hébergea chez elle, me débarrassa de mon manteau blanc de neige, et se mit en devoir de me laver les pieds comme la Madeleine lavait les pieds du Sauveur. Il fallut bien se laisser faire ; je dus même, pour soutenir mon rôle, suivre mon hôtesse dans l’église de l’Archange. Heureusement qu’elle m’y laissa seul, ne voulant pas troubler ma prière.
La solitude me soulagea ; pour moi comme pour un roi c’était la liberté. À peine honorai-je d’un regard la statue tant révérée, attribuée, par un blasphème impie, au ciseau de Michel-Ange, et qui n’est qu’un méchant ouvrage : l’archange vainqueur à la mine d’un fat, et Satan qu’il terrasse fait la grimace comme une veille femme en colère. Le temple est une caverne naturelle, d’une obscurité sévère et mélancolique, comme celle de Sainte-Rosalie, au mont Pellegrino. On voit dans la grotte l’empreinte du pied de l’Archange, et l’on y conserve un morceau de la vraie croix donné par l’empereur Frédéric II, tout suspect qu’il fut alors d’avoir écrit le fameux livre apocryphe des Trois Imposteurs, et tout plongé qu’il est par Dante dans l’enfer des hérétiques.
Mais tout cela m’intéressait peu. Je profitai de ma liberté pour reprendre mon caractère naturel, et me glissant furtivement hors du sanctuaire par une porte de derrière, comme si je venais de voler le tronc, je me mis, malgré la neige, à la chasse des sites. Excepté du côté de l’Adriatique ils sont bornés. La mer lourde et immobile comme une glace ternie, réfléchissait un ciel rouge et neigeux. La neige couvrait tous les sommets, toutes les vallées, et ces scènes d’hiver étaient plus dignes de la Suisse que de l’Italie. Ce n’est pas ce qu’on va chercher au-delà des Alpes.
Quand je rentrai chez mon hôtesse, elle ne douta pas, la bonne femme, que je ne revinsse directement de l’église, et que je n’eusse pris heure avec le confesseur. Je laissai croire tout ce qu’on voulut, mais le lendemain matin le faux pèlerin s’échappa de la ville sans être aperçu.
Le vent, un vrai vent des Alpes, soulevait et me fouettait au visage des tourbillons de neige qui m’aveuglaient ; mais après quelques heures d’une descente rapide, je retrouvai la plaine et passai comme par enchantement du climat de la Sibérie au printemps éternel des îles de la mer du Sud.
Je me retrouvais donc dans les plaines d’Apulie. Le Candelaro, le plus grand fleuve de la contrée, était débordé. Il m’arriva même là une aventure assez piquante. La crue du fleuve avait mis tous les ponts sous deux pieds d’eau. Impossible de passer ce soir-là : mais où coucher ? Il n’y a de ce côté du fleuve ni villes, ni villages ; San Severo est de l’autre côté. Je me résignai donc à aller comme un véritable pèlerin demander l’hospitalité de métairie en métairie. La première était vide. La seconde était habitée par le propriétaire, vieux marquis de l’endroit, qui avait été intendant de la province, c’est-à-dire préfet, et qui, tombé en disgrâce, était alors retenu au lit par la goutte. Je ne pus le voir. Je lui exposai mon cas par écrit ; il me répondit de même et pas trop poliment, que dans sa position il ne pouvait recevoir un inconnu, dont la police pourrait lui demander compte. En me présentant le papier d’une main, le facteur du marquis m’exhiba de l’autre deux rouleaux d’argent. C’était la seconde fois que j’avais l’avantage d’être pris pour mendiant. Je l’avais déjà été en Calabre ; mais cette fois-ci l’aumône était splendide. Je ris de la méprise. — « Allez dire à votre maître, répondis-je au facteur, qu’il se trompe ; je demandais de lui non-l’aumône » mais l’hospitalité » — Le pauvre facteur en fut tout confus. Il se fit en lui une complète révolution. Nul ne doute maintenant que je ne fusse un prince déguisé. Il prit son fusil et voulut absolument m’escorter jusqu’à une porte moins inhospitalière. Le prince déguisé s’en alla donc frapper à une troisième métairie, dont le maître, moins timoré, m’offrit tout ce qu’il avait, de la paille pour lit et un souper de laitage. Jamais je n’avais dormi mieux ni plus longtemps.
Le lendemain le fleuve avait décru ; le remontant jusque sous les hauteurs d’Apricène je le passai sur le pont, ou plutôt sur le parapet du pont de Branci, car l’eau n’avait pas tellement baissé que le pont fut découvert tout entier. Je traversai à grand-peine les prairies inondées de San-Severo, ville agricole, sans intérêt, et de là j’atteignis, à travers des boues inextricables, les hauteurs sèches de Lucérie, Lucera.
Lucérie est la ville la plus illustre de la Capitanata : son nom fut mêlé pendant deux mille ans aux plus grands événements de l’histoire italienne. C’est là que le consul Papirius vengea l’affront des Fourches-Caudines. Plus tard, au temps de la dynastie Souabe, Frédéric II y transplanta de Sicile une colonie de Sarrazins qui restèrent fidèles à son successeur jusqu’au dernier moment, et quand ses sujets chrétiens étaient tous félons.
Cette colonie d’Infidèles fut un des griefs dont s’arma le pape pour légitimer l’acharnement des persécutions dont il frappa la noble et infortunée dynastie Souabe. Entrant dans des passions qui étaient du temps et qui de plus servaient ses plans d’ambition, Charles d’Anjou, l’usurpateur, avait baptisé Manfred le Soudan de Lucérie.
Les modernes habitants de Lucérie, race incivilisée et mal dressée, n’ont certes pas hérité de leurs ancêtres Maures l’hospitalité. La cathédrale est la plus belle église de la province ; elle est enrichie comme celles de Canose et de Siponte des dépouilles de marbre du paganisme. Elle est du temps des Angevins. Le château Souabe anime le paysage de ses vastes ruines.
Je passai ensuite à Troïa [Troia], petite ville antique, bâtie en amphithéâtre presqu’au pied d’une énorme montagne, dite de Sidon, qui sert de limite à trois provinces : le Samnium, la Principauté ultérieure, et la Capitanata. Troïa est encore un champ de bataille. Le duc d’Anjou Jean y fut battu par le roi Ferdinand ler, en 1463, et cette défaite consomma sans retour la ruine du parti angevin, dans les Deux-Siciles. Un fait remarquable c’est la part qu’eut dans la victoire le fameux Scanderbeg, il avait amené en personne ses auxiliaires albanais au roi Ferdinand et reçut en récompense plusieurs places de Pouille : Trani entr’autres et les villes du Mord. Gargano.
De Troïa, où il n’y a rien à voir, j’allai chercher la grande route, et sans autre rencontre que celle d’un vieux loup qui chassait un mouton sur les flancs du mont Calvello, je m’enfonçai dans le val de Bovino qui forme la limite des Pouilles, et qui est la clé de Naples de ce côté, comme les défilés d’Itri le sont du côté du nord.

Les protagonistes de l'imaginaire et leurs Oœuvres

Bref profil biobibliographique des auteurs des textes.