J. Millenet, Coup d’œil sur l’industrie agricole et manufacturière du royaume de Naples, Naples, Impr. du Fibrène, 1832, pp. 58, 62, 64-67
On reprochera toujours avec justice aux colons de la Pouille d’avoir laissé abâtardir leurs blés, ou de n’avoir jamais cherché à les améliorer, par un classement sévère des qualités qui, au nombre de dix à douze, se trouvent toutes mélangées et représentées sous deux seules espèces, c’est-à-dire ; le blé tendre, le blé dur. J’y ajouterai le blé misto ou mesquille ; ce dernier est un mélange de blé tendre et de blé dur; qualité dégénérée, qui n’existe que pour perpétuer la honte du cultivateur. En Sicile, où l’agriculture a plus diminué qu’elle ne s’est détériorée, on distingue encore jusqu’à dix espèces de blés, presque toutes supérieures à celles de la partie du royaume en deçà du phare qu’on voit, avec étonnement, placée sur plusieurs marchés de la Méditerranée, an niveau des blés d’Odessa, et en Angleterre dans la catégorie des blés médiocres
On parle de l’impôt foncier à Naples, on se plaint de son élévation, tandis qu’il est reconnu que le royaume de Naples, quoique, par lui-même, un des plus fertiles de l’Europe, est un de ceux où l’individu est le moins taxé. Le Français paie le double d’impositions que le Napolitain, et cependant ; ce dernier est mieux partagé que le Français. Qui peut mettre en doute que le sol du royaume de Naples, sous le rapport des ressources naturelles ne soit plus riche que le sol de France ? Et, quant aux rapports commerciaux, ces deux pays sont pour ainsi dire placés sur la même ligne ; les débouchés sont les mêmes ; du moins ils l’ont été jusqu’à présent. Or, comme il n’y a point de distinction de prérogatives dans l’émission des produits de leurs manufactures et de leur sol respectif, je ne trouve de différence que dans la manière plus ou moins parfaite et économique de produire. Je dois donc conclure que, si le propriétaire napolitain se plaint, il ne doit en accuser que son indolence ; et, dans ce cas, il n’a pas le droit de se plaindre. Bien loin de là, on doit reconnaître la nécessité d’un stimulant, et ce stimulant je ne le vois que dans le besoin que la taxe actuelle impose et dont on reconnaît déjà les effets ; car, il faut en convenir, l’agriculture aujourd’hui n’est pas à Naples ce qu’elle était il y a 30 ans. Indépendamment des améliorations dans le mode de produire, il est évident que le royaume de Naples a étendu sa culture et a multiplié le nombre de ses productions, ou du moins il a su remplacer celles d’un débouché devenu difficile et moins lucratif, par d’autres productions plus appréciées.
La seule chose que je réclame comme aussi profitable au fisc qu’aux propriétaires, c’est une révision du cadastre. Il est reconnu que beaucoup de terrains d’un faible rapport sont autant et même plus grevés que ceux d’un plus grand rapport. Une telle révision, confiée à des hommes probes et intelligents, rétablirait l’équilibre dans la perception de l’impôt foncier, le rendrait moins aggravant et en même temps plus productif.
Pendant que le gouvernement napolitain protégeait l’industrie manufacturière, par un changement de tarif en harmonie avec sa position financière, et que pour réprimer la contrebande, rendue plus attrayante par une élévation de droits, il installait une régie des douanes intéressée, il dégrevait presque tous les produits territoriaux à leur sortie du royaume. C’est ainsi que les laines, les jus de réglisse, les soies et une foule d’autres articles furent affranchis des droits dont ils furent frappés dans un temps où ils pouvaient les supporter. Le droit sur l’huile d’olive fut réduit à quatre ducats et quatre-vingts grains par navire étranger, et à trois ducats et vingt grains par navire napolitain. Ce droit eût même été entièrement supprimé si le gouvernement ne se fût convaincu que dans l’importance de la culture de ce produit, c’est le royaume de Naples qui a la priorité.
Le Levant, la Barbarie et l’Espagne donnent des huiles tous les trois et quatre ans ; et, quelquefois, on a vu ces pays rester cinq à six ans ; et méme jusqu’à dix, sans rien produire. Quoique l’olive, même dans les pays les plus fertiles, soit un fruit biennal, Naples a toujours une récolte d’huile à offrir à l’étranger, parce qu’on a reconnu que pendant que la Pouille se repose, c’est la Calabre qui produit et vice versa or, dans les années sans récoltes des pays compétiteurs du royaume de Naples, la consommation devient tributaire absolue de ce dernier.
Voilà ce que le financier paraît avoir bien compris, lorsqu’il a laissé subsister un droit, qui pèse plus sur le consommateur que sur le propriétaire. Au surplus, le gouvernement, ainsi qu’on le verra plus tard, sut disposer utilement de ce droit.
Malgré la baisse que les huiles ont éprouvée dopuis vingt ans, cette production n’en est pas moins restée la plus importante du royaume. On peut évaluer à environ deux cent mille salines la quantité d’huile d’olive qu’il fournit annuellement à l’étranger. En calculant sur le prix commun de vingt-quatre ducats la saline mise à bord, nous obtenons un résultat d’environ cinq millions. Ce résultat est considérable pour une seule production ; aussi le blocus continental, en interceptant les communications maritimes, ou en les rendant fort coûteuses, porta-t-il un coup final aux propriétaires de la Pouille et de la Calabre, qui ne pouvaient obtenir, à cette époque, plus de dix à douze ducats pour la salme de leurs huiles : ces prix ne couvrant pas leurs frais, ils abandonnaient les olives sur l’arbre ou les donnaient pour nourriture aux animaux immondes.
Pendant que les huiles d’olive étaient ainsi dépréciées à l’origine, elles montaient à la consommation à un prix tellement élevé qu’il frappa l’esprit investigateur de l’homme. Tous les corps gras furent mis à contribution et l’on vit surgir, en peu de temps, une foule de substituts. On parvint à trouver une huile abondante et de bonne qualité dans diverses semences, et particulièrement dans celle du colzat et du pavot. Ces plantes oléagineuses ne tardèrent pas à couvrir les champs de la Flandre, des rives du Rhin, de l’Angleterre, d’une partie de l’Allemagne ; et le gaz, presque simultanément, vint éclairer les rues de Londres.
Voilà les subrogés que le blocus continental opposa à la production napolitaine et aux huiles d’olive de toutes les origines, dont les prix ne se seraient jamais relevés, si la consommation générale ne se fût accrue presqu’en raison directe de l’importance de la production.
La moyenne des prix de l’huile d’olive était à Naples, il y a trente ans, de vingt-cinq ducats par salme, aujourd’hui elle n’est que de dix-huit ducats, prix du premier coût, c’est-à-dire pour l’huile, dégagée de tous frais d’exportation, existent dans les divers caricators du royaume.
On voit par toutes ces révolutions commerciales et politiques, les puissants effets de la nécessité. On voit combien de choses seraient encore cachées à l’homme si ce mobile ne les lui eût fait connaitre. C’est encore la nécessité qui, pour suppléer au déficit qui résultait, pour le royaume de Naples, de la non exportation de ses huiles, fit qu’on propagea la culture du coton, dont j’ai parlé au commencement de cet ouvrage ; c’est elle enfin qui trouva du sucre dans la châtaigne, dans la betterave et du café dans la chicorée, et qui aurait fini par nous faire oublier les produits de l’autre hémisphère, si l’état forcé qui en interdisait l’entrée sur le continent d’Europe, eût duré.
Les huiles du royaume de Naples sont produites par la Pouille, depuis Bari jusqu’au cap de Leuca, en y comprenant les terres qui versent leurs produits à Tarante. Par la Calabre, depuis Rossano, dans le golfe de Tarante, jusqu’à Gioja. Tout le littoral, depuis ce dernier caricator, jusqu’à Gaète, fournit aussi des huiles. Les Abruzzes et la Terre de Labour ont des oliviers ; mais c’est la Pouille et la Calabre qui produisent le plus de ce liquide. Gallipoli en Pouille, dans la Province de Lecce, et Gioja en Calabre, en sont les principaux caricators.
Gallipoli fournit l’Angleterre, le nord et la Hollande ; parce que c’est à Gallipoli où l’huile se clarifie le mieux, en raison du degré de chaleur des citernes, qui sont taillées dans le roc. C’est Gallipoli enfin qui fournit tous les pays dont la consommation requiert des huiles parfaitement épurées. Ces huiles devant faire de long trajets par mer, il fallait perfectionner la futaille, pour éviter un coulage ruineux; et je puis dire que, sous ce rapport, la tonnellerie de Gallipoli ne connaît point de rivales: elle est tellement parfaite que les cargaisons, dirigées sur S. Pétersbourg, dans le plus fort de l’été, y arrivent sans le moindre déchet extérieur, ni même d’imbibition, attendu que les futailles, avant d’être employées, sont soigneusement combugées d’eau de mer, qui a la faculté de resserrer les porres du bois de châtaignier.
Les caricators de Bari et de Monopoli fournissent à la consommation de la Haute-Italie et de l’Allemagne, par l’entremise de Venise et de Trieste. Ces marchée reçoivent aussi des huiles de Brindisi et d’Otrante ; et enfin les caricators de Tarante, province de Lecce, de la Calabre orientale, dite Retromarina et de la Calabre occidentale, dont le principal est Gioia, approvisionnent Marseille. Ces derniers caricators, dépourvus de magasins propres à la clarification, ne donnent que des huiles brutes, mais qui sont très-appréciées par les fabricants de savons.
La Sicile fournit aussi des huiles ; mais, comme celles de Tunis, elles sont trop légères pour être employées d’une manière absolue dans la fabrication du savon ; elles servent de mélange, et ont conséquemment moins de valeur que les huiles de Naples, d’Espagne et du Levant.
En général on regrette que la manipulation des huiles soit aussi arriérée dans le royaume de Naples, et surtout dans les provinces les plus productives, qui ne fournissent que des huiles pour les fabriques. Je dois cependant mentionner l’établissement à Bari de Mons. Ravanas, dont les résultats lucratifs détermineront, je l’espère, d’autres entreprises de ce genre.
Outre une qualité supérieure, Mons. Ravanas obtient un plus grand produit par une double pression des olives triturées. La fermentation des olives en grossit le volume, de là l’idée dominante dans le royaume qu’on tire davantage d’huile de l’olive fermentée ; mais c’est une erreur: l’expérience a démontré que l’olive perd de sou suc oléagineux lorsqu’elle se trouve dans un état de fermentation, comme elle rend moins aussi lorsqu’elle est trop fraîche. Pour éviter ces deux extrêmes on dépose les olives dans des locaux ad hoc, où il faut avoir soin de les remuer de temps en temps, jusqu’à ce que la pulpe, devenue plus molle et moins adhérente au noyau, soit d’une pression plus facile.
La double pression de Mons. Ravanas se fait à l’aide de la machine hydraulique, dont on connaît la puissance. Les presses de la Pouille et de la Calabre sont d’une construction tellement grossière qu’elles rappellent l’art mécanique du moyen âge. Aujourd’hui que l’homme a tout perfectionné, on est surpris d’une pareille négligence. Il en est malheureusement ainsi de presque toutes les pièces de mécanique et des instruments aratoires mis en usage dans le royaume de Naples.
La culture de l’olivier exige aussi des soins que les propriétaires napolitains n’ont point. Je comprends que ces propriétaires ne sont pas obligés de prendre les mêmes soins que ceux de la rivière de Gènes et de la Provence, qui se trouvent moins favorisés par la nature du terrain, mais je ne crois pas cependant que ce soit une raison pour ne jamais tailler et fumer les arbres; opérations nécessaires, ainsi que celle du recépage d’un grand nombre de vieux oliviers , dont les racines, ossifiées par le temps, empêchent la sève de monter.
Le commerce des huiles, dans la province, est entre les mains de maisons respectables qui achètent cet article au détail, des différents propriétaires. L’huile, réunie en certaine quantité, se vend à Naples avec un bénéfice qui consiste en grande partie dans la différence qui existe entre la mesure d’achat au détail et celle de vente. Pour faciliter les transactions sur le marché de Naples avec, la province, on imagina de crier des ordres ou cédules, dont le représentatif existerait dans les caricators de la province. Ces ordres, qui circulent sur place, s’endossent sans responsabilité de la part des cédais intermédiaires, qui en reçoivent la contrevaleur en effectif. Il n’y a par là de responsables que les signatures du tireur et du tiré. Ce dernier est obligé de livrer l’huile à la présentation de l’ordre, ou de la tenir à la disposition du porteur jusqu’au dix novembre, pour les caricators de la Pouille, et jusqu’au trente et un décembre pour ceux de la Calabre. Si l’achat a eu lieu à livrer, c’est-à-dire, d’une année à l’autre, l’huile est ordinairement mise à la disposition de l’acheteur au premier mars. Cet achat se fait par le moyen d’un contrat, où le vendeur déclare qu’il délivrera l’ordre à la fin de Janvier, contre le paiement de l’huile qui, comme je viens de le dire, n’est disponible que le premier mars de chaque année.
Le paiement dans les achats à livrer précède, comme on le voit, de deux mois la livraison réelle de l’huile; je dis réelle, car l’on considère l’ordre comme marchandise, vu qu’on ne peut citer presqu’aucun exemple que cet ordre n’ait eu son plein acquittement Dans les achats d’huile disponible, le paiement précède aussi la livraison de l’huile, mais alors il ne s’agit que de quelques jours, c’est-à-dire, du temps nécessaire pour faire parvenir l’ordre au caricator, où l’huile que cet ordre représente , doit être livrée.
Si cette branche du commerce de Naples était mieux connue de l’étranger, elle attirerait indubitablement de grands capitaux dans le royaume En effet, est-il rien de plus séduisant et de plus commode que d’avoir un titre en portefeuille, représentant une partie d’huile, sans aucun souci de conservation et de déchet ? Cette huile reste dans le caricator sous la sauvegarde et la responsabilité du vendeur qui, à la première réquisition du porteur de l’ordre, est obligé de livrer la quantité et la qualité d’huile spécifiées. La première année sans frais pour ce dernier; seulement, dans les années successives, s’il ne prend pas livraison de l’huile, il est obligé de payer vingt-cinq à trente grains par salme pour le magasinage et la rénovation de la responsabilité. L’acheteur peut donc moyennant cette modique rétribution annuelle, prolonger son opération indéfiniment.