Gustave Flaubert, in Oeuvres complètes, Paris, Club de l’Honnête Homme, 1973, vol. XI, pp. 114-116
DE GRÈCE EN ITALIE
BRINDISI : Vue de Brindisi, côtes basses, fort, port. — Attente. — Les marins en tricot. — Estimation de la capote. — Musicien ambulant et jeune môme, rouge, en redingote de velours, casquette sur le coin de l’oreille. — Hypertrophie du cœur. — Douane. — M. le commissaire de police. — Rues blanches et courbes à Brindisi, théâtre, hôtel de Cupido. — L’agent français. — Dîner. — Promenade hors la ville, route aloès, coin fortifié, couleur de soleil orange, calme. — Paysans et paysannes qui reviennent des champs : « Buona sera !» — Retour à l’hôtel. — Théâtre, La Fille du comte Orloff. — Nuit dans de grands lits.
Mardi 11 février. J’attends, le matin, Max qui est parti faire le tour de la ville. — Police. — À midi juste, partis. — Vieux carrosse, tapissé de rouge, haut sur roues ; trois chevaux noirs, plumes de paon sur la tête. Le padrone, gros homme en bonnet de soie sous son chapeau blanc, nous accompagne ; il y a, en outre du cocher, un garçon derrière, sur nos cantines.
Sortis par l’endroit où nous avons été hier soir nous promener. — Route droite, plaine plate, très verte, bien cultivée ; la mer à droite, bientôt on la quitte de vue. — Une ferme. — Mauvais pas, nous mettons pied à terre, la terre est poussiéreuse, friable, épaisse. — Petit bois de chênes nains. — Des ouvriers travaillent à faire des ponts pour les inondations.
SANTO VITO, petit village de quelques maisons.
CARO-VIGRO [Carovigno], que nous laissons à droite, est sur une hauteur. Continuant la route qui y mène, une rue infecte, maisons blanches, grises, élevées. Après Caro-Vigro, il y a beaucoup d’oliviers ; culture de fèves dessous, carrés de lin.
OSTUNI, sur un mamelon s’élevant au-dessus de la plaine. La ville est groupée autour de l’église, qui la domine ; d’elle à la mer, à droite, grande plaine couverte d’oliviers d’un seul ton, avec quelques maisons blanches dedans, tranchant dessus : c’est du vert, puis la mer bleue. Au milieu de la ville, une place carrée, fontaine avec une statue d’évêque, le bras levé. — Santo Ronno. — L’albergo en dehors de la ville : en bas, pièce où nous nous chauffons, petites lampes antiques accrochées au mur, fumeuses ; un jeune môme qui nous questionne. — Visite de MM. de la police. — Difficulté de se procurer à manger, depuis deux heures nous attendons notre dîner, nous avons maintenant des oranges, de la salade et des câpres.
Mercredi 12 février. Toute la journée, encore talus d’oliviers que la veille, belle campagne. — Arrêtés, à onze heures, à Monopoli, où nous sommes escortés par toute la population du pays qui s’empresse pour nous voir.
MONOPOLI : Grande place blanche, où toutes les maisons sont blanchies à la chaux, ainsi que tout le reste de la ville. — Nous entrons dans une église où des menuisiers travaillent au maître-autel.
Monopoli est sur le bord de la mer. — Deux ou trois barques. — À droite de la crique où elles sont, restes de fortifications. — Place escarpée qui domine la mer. — Un vieux mendiant, aveugle, déguenillé, qui a servi Napoléon et qui nous fait l’exercice. — Belle route. — Les sellettes énormes des voitures dorées. — Aspect propre et aisé de toutes ces populations. —Hors la ville, des prêtres en tricorne, qui se promènent avec des jeunes gens en costume séculier.
Le soir, arrivés à Bari, à la nuit presque close, nous faisons toutes les auberges du pays sans pouvoir trouver de logement. Enfin nous usons de la recommandation de l’agent de Brindisi pour un M. Lorenzo Miulla ; nous entrons dans une salle où des enfants jouent et crient le mot Puccinello. — Amabilité de notre hôte, homme dans le goût (physiquement) du sieur Delaporte, mais mieux. — Petits verres de rosolio. Don Federico Lupi, moustaches, favoris rouges, nous mène à son hôtel. — Sa chambre, sa conversation ; idées de fusion et d’extinction des nationalistes sont répandues partout, quoique sous des formes différentes.
Salle d’attente. —Un jeune prêtre ; son frère, avocat.
Partis à onze heures et demie.
Jeudi 13 février. Le jeudi matin, pris le café à Barlette [Barletta]. — Déjeuner à une heure, à Foggia.
Temps froid. — Notre compagnon nous chante du Béranger, parle de la nature et porte sur sa poitrine une amulette en papier bleu de la Vierge du Carmel. — Pauvre Italie ! Les régénérateurs du passé ne te feront pas revivre ; le parti libéral souhaite le protestantisme, c’est selon moi un anachronisme inepte.
Journée triste et froide, la diligence m’éreinte, notre compagnon nous embête ; la nuit, la route monte ; vers le matin, elle descend. — Chênes dans des vallées étroites, ressemblant à celles qui sont aux environs du mont de la République, avant d’arriver à Rouanne. Nous rencontrons pas mal de chapeaux pointus.
À Nola, nous marchons devant la diligence pour nous réchauffer les pieds. — Une femme nous donne à boire, nous nous mettons à l’abri sous la porte de sa maison ; elles étaient deux et faisaient de la toile. — Route plantée de je ne sais quels arbres (peupliers de Virginie ?) ; des deux côtés, champs de mêmes arbres ; allant de l’un à l’autre, grandes vignes grimpantes, qui font corde. — Arrêtés longtemps à la barrière, où l’on visite attentivement les malles de notre compagnon qui, depuis le matin, est remonté dans le coupé avec nous. À notre gauche, le Campo Santo, grand cimetière neuf ; en face de nous, la forteresse qui domine la montagne au pied de laquelle est Naples.