L’Italie d’après nature. L’Italie méridionale

Juliette Figuier, L’Italie d’après nature. L’Italie méridionale, Paris, Furne, 1868, pp. 306-354
DE NAPLES A FOGGIA

Il semble qu’on ne puisse aller au-delà de Naples. La plupart des touristes, comme s’ils étaient arrivés à l’extrémité de la terre, s’en retournent le plus souvent de cette ville, par le chemin qu’ils ont pris pour s’y rendre. Notre ambition fut plus grande. Nous n’avions pas le projet de visiter la Sicile, car le brigandage qui ravageait alors cette contrée, jusque dans l’intérieur de Palerme, rendait ce voyage impraticable ; nous voulions seulement traverser l’Italie dans sa largeur, afin de prendre, à Foggia, le chemin de fer, qui remonte vers Ancone en longeant l’Adriatique. Ainsi, nous évitions de repasser par des sites connus, et nous arrivions dans le nord de l’Italie, en explorant un pays nouveau et pittoresque. Rien n’était plus facile de réaliser ce désir, car deux diligences partaient chaque soir de Naples, pour arriver le lendemain soir à Foggia. Mais dans ce long trajet, sur une route peu fréquentée, n’étions-nous pas exposés à la fâcheuse rencontre des brigands qui infestent tout endroit écarté ? Cette perspective peu agréable nous avait déjà interdit d’aller à Pæstum devait-elle aussi nous empêcher de franchir les Apennins ? 
Le consul de France, tout en croyant qu’il n’y avait aucun danger à s’aventurer dans la montagne, nous engagea a prendre les messageries qui portent les dépêches de la poste, parce qu’elles sont, nous disait-il, toujours accompagnées de quelques carabiniers ; tandis que la seconde diligence, concurrence particulière, n’est pourvue d’aucune escorte. 
Rien n’est bon et éloquent en pays étranger, comme la voix sympathique d’un compatriote. Encouragés par des paroles amies, nous partîmes pour Foggia
Sept heures sonnaient aux horloges de Naples, les lanternes s’allumaient dans la ville, et la nuit commençait à couvrir la campagne d’un voile sombre, lorsque nous montâmes en voiture. Toute officielle qu’elle fût, et en dépit de son escorte, de ses dépêches et de son courrier, la fameuse diligence postale ressemblait beaucoup à un pacifique omnibus. Elle n’avait ni coupé, ni intérieur, ni rotonde, mais seulement deux étroites banquettes longitudinales ; son impériale se composait d’une bâche aplatie peu hospitalière aux bagages. 
Le courrier et son vaste sac de cuir occupaient les deux premières places ; puis venaient un capucin et une jeune fille (l’un n’allant guère sans l’autre). Deux femmes, enveloppées de leurs mantes de laine, occupaient les deux dernières places. En face se trouvaient un prêtre jovial, un campagnard et deux commis voyageurs, le cigare à la bouche. 
Nous eûmes beaucoup de peine à nous caser au milieu de tout ce personnel, déjà serré et comprimé. Ainsi au complet, la lourde voiture s’ébranle, les voyageurs se heurtent, se tassent, et nous partons, au milieu de quatre gendarmes dont les chevaux galopent pesamment sur les dalles. 
Mais bientôt la diligence ralentit son allure ; la route est montueuse, et nous voilà au pas. À voir cette escorte, le sabre au poing, et cette massive gondole rouler lentement sur le chemin solitaire, avec sa cargaison, composée de capucins, de prêtres et de femmes en mezaro, on pouvait se croire au moyen âge. En tout et pour tout, l’Italie méridionale est en retard de quelques siècles sur les autres contrées. 
Tous les sites mémorables du sol que nous quittons se détachent dans le lointain. Frappés par les rayons de lune, ils nous apparaissent lumineux et brillants, comme pour mieux recevoir nos adieux. Sentinelle de la contrée, le Vésuve, est le dernier à disparaître. Les maisons d’Avelino passent rapidement devant nos yeux puis vient une plaine immense. Seulement des troncs d’arbres, coupés ras du sol, hérissent la terre. Rien de plus triste que cette perspective de troncs d’arbres, reste de la forêt qui naguère couvrait le pays. Pourquoi un tel vandalisme ? Le personnel de la voiture se regarde, clignote, soupire et ne répond pas. Le courrier, voyant que nous ne comprenons pas cette pantomime mystérieuse, se penche vers nous. 
« C’est à cause des brigands, nous dit-il à voix basse. Ils se cachaient trop facilement dans les bois on ne pouvait en être maître, et c’est pour mieux surveiller la route, que le général Pallavicini a fait abattre tous les arbres.» 
Involontairement nous cherchons l’escorte des yeux, mais elle a disparu ! Sous prétexte que les abords des villes sont surtout dangereux, elle ne va guère plus loin qu’Avelino. Il nous semblait pourtant qu’elle n’aurait pas été inutile au milieu de ces solitudes enveloppées par la nuit. Ces carabiniers qui galopent bruyamment autour de la diligence tant qu’il y a des maisons et des habitants, et qui s’en retournent au premier endroit désert, sont plutôt dus au goût de parade et de clinquant, si général ici, qu’au désir sincère de protéger les voyageurs. 
Nous sommes donc abandonnés à nous-mêmes, au moment où nous ne rencontrons plus âme qui vive. Nous commençons à nous engager dans les Apennins. Le chemin est devenu horriblement abrupt et difficile. On a attelé à la diligence une file de neuf chevaux, au moyen de longues cordes et de trois bœufs placés de front, et pourtant elle a peine à avancer. Plusieurs conducteurs, coiffés de chapeaux de bersaglieri, la plume au vent et le fouet à la main, montés sur les chevaux de renfort, complètent l’originalité de ce formidable attelage. Nous sommes seuls, d’ailleurs, à jouir de la vue de ce tableau pittoresque, fantastiquement éclairé par la blanche lueur de la lune, car tout le personnel de l’omnibus s’est endormi. De temps à autre, le gros curé, tiré de son sommeil par ses propres ronflements, soupire, étend les bras, ferme l’œil, se rendort, tandis que le capucin, réveillé, de son côté, en sursaut par quelques coups de pieds, reçus de ses voisins, ouvre un œil, regarde béatement autour de lui, prend son chapelet et se tient immobile comme une image de cire. Ce pauvre capucin est bien le plus doux martyr que j’aie jamais vu ; ses pieds servent de tabouret, ses genoux de table et ses épaules de coussin à toute la communauté. C’est à qui enfoncera ses coudes dans ses flancs, à qui installera ses bagages sur sa robe, ou appuiera, sans façon, sa tête contre la sienne. On le charge de déboucher les bouteilles, de ramasser les mouchoirs, de garder les paniers, d’ouvrir ou déferler la portière. Il sert de valet et de souffre-douleur, et cela sans se plaindre jamais, ni se départir d’un sourire placide qui erre constamment sur ses lèvres, comme un encouragement tacite au rôle de victime qu’on lui fait subir. 
Nous arrivons, au point du jour, sur le sommet des Apennins. La vue qu’on découvre de ces hauteurs est splendide, et le soleil levant en fait un tableau radieux. Un village est bâti sur le plateau que forme la large cime de la montagne : c’est Ariano.
À part les maisons, qui sont de chétive apparence, on voit ici des grottes creusées dans l’épaisseur des rochers, et qui servent de logis aux habitants. C’est l’heure du départ pour les champs. Hommes, femmes et enfants, sortent, par troupes, de ces demeures étranges, séjour de misère et de fièvre. Les hommes, chasseurs sans doute, en costume de fra Diavolo d’opéra-comique, guêtres lacées jusqu’aux genoux, plume au chapeau, veste de velours, culottes courtes, gilet chamarré, ceinture rouge et fusil sur l’épaule, passent, graves et fiers, devant nous ; tandis que les femmes, surchargées de bijoux, hautes, amples et belles, grondent et battent leurs marmots, pour se donner une contenance. Il y a dans cette population quelque chose de cruel, d’énergique, et pourtant d’embarrassé, qui trahit des brigands en retraite ou en suspension d’emploi. 
Ariano a été, en effet, un des centres les plus dangereux du brigandage, et ce n’est que depuis peu de temps que la police et l’armée ont pu triompher des instincts sauvages de ses habitants. Au détour du sentier, les chasseurs d’Ariano s’arrêtent, se retournent, et fixent sur notre voiture un regard phosphorescent, comme celui d’un chat qui guette une souris. Mais bientôt ils haussent les épaules d’un air dédaigneux, et descendent, en sifflant, le revers de la montagne. 
La meilleure escorte que puissent avoir des voyageurs, c’est la simplicité de leurs allures. J’avais eu la précaution de m’envelopper, en partant de Naples, dans un mezzaro de laine pareil a celui de mes compagnes de route. D’un autre côté, la figure piteuse du capucin, la soutane jaunie du prêtre, et les vêtements modestes du personnel de la diligence, n’étaient pas de nature à éveiller la cupidité. Les brigands ne se hasardent guère à arrêter une voiture que lorsqu’ils savent y trouver une somme importante ou des voyageurs en état de payer une forte rançon. Nous attribuons à la prudence que nous avons eue de voyager sans apparat, le bonheur d’avoir échappé à toute mauvaise affaire dans les Apennins à une époque où l’Italie méridionale était infestée de brigands. 
Cependant, les trois bœufs, les neuf chevaux et les quatre portillons se sont subitement arrêtés, car c’est ici que nous devons déjeuner. Chacun se réveille, se frotte les yeux, et plus ou moins engourdi, descend de l’omnibus. On a préparé dans une méchante locanda tout ce qu’on a jugé nécessaire aux voyageurs. Cela se borne à une dizaine de tasses, grandes comme des dés à coudre, remplies d’une pâle décoction de café, accompagnées de quelques miettes de sucre et d’une mince galette faite avec de la farine de châtaignes et du miel. Quant au pain, au lait, au vin, aux œufs, niente, niente, niente ! 
En revanche, les hôtesses qui nous servent sont jolies à ravir, et leur pimpant costume est tout rehaussé de bijoux. Autant les proportions de la vaisselle et de la nourriture sont exiguës, autant celles des boucles d’oreille, des chaînes et des épingles que portent nos servantes sont monumentales. Hélas ! certain collier de perles fines, enroulé autour du cou d’une brune fillette, avait tout l’air d’être venu, en ce pauvre réduit, sous les sinistres auspices du brigandage !
Après Ariano, le pays devient tout à fait grandiose. Pendant que nous considérons attentivement les gorges verdoyantes, les larges ravins et les monts escarpés qui se déroulent et se renouvellent sans cesse en mille replis, nos compagnons de route ouvrent leurs paniers, en retirent de petits pains, des oranges et des gâteaux. De son côté, le curé se trouve avoir lesté ses poches de quantité de bouts de saucisse cuite ; les commis voyageurs ont apporté une bouteille de lacryma Christi : la jeune fille s’est munie de pommes et de noix, et le campagnard est à la tête d’un gros morceau de fromage plié dans un papier graisseux. Le tout est jeté pêle-mêle dans la robe du capucin, divisé en parties égales et offert affectueusement à la société. Seuls à ignorer le peu de ressources des auberges de la Capitanate, nous n’avions pris avec nous aucune provision. Nous voilà donc très confus de ne pouvoir rien ajouter à ce cordial pique-nique. Mais ne pas y prendre part aurait froissé ces braves gens, et bon gré mal gré, il nous fallut goûter il cette étrange gamelle. 
Vers le milieu du jour, nous quittons les montagnes, pour nous enfoncer dans un bois. En sortant de ce bois, nous traversons une grande étendue marécageuse, puis une plaine riche, mais déserte, et à sept heures du soir, sans avoir aperçu un village, un hameau ni une maison, nous arrivons à Foggia, moulus, affamés et tout endoloris, tant nous avions été pressés les uns contre les autres dans la boite roulante. 
Nous voici donc enfin dans la ville principale de la Capitanate, où un bon repas et un bon lit nous restaureront bien vite. Hélas ! toute capitale qu’elle soit, Foggia ne possède que des auberges tout à fait misérables. Celle dans laquelle nous descendons, et qui est la meilleure, ou plutôt la moins mauvaise, serait tout au plus bonne pour des charretiers. On y donne à coucher, non à diner, et pour apaiser notre faim, nous devons nous adresser à un méchant petit restaurant, le seul de l’endroit. 
Malgré l’abstinence de la journée, il nous est impossible de toucher à la soupe ni à la viande qu’on nous présente. Ici les serviettes passent, sans jamais être lessivées, d’un voyageur à l’autre. Les ustensiles sont graisseux, le vin aigre, la table malpropre, les ragoûts fourmillent de mouches et le plafond de toiles d’araignées.
Mais ce n’était là que le moindre de nos malheurs. Quelle triste nouvelle nous attendait ! Nous apprenons, hèlas ! que le chemin de fer de Foggia à Ancône, que nous devions prendre le lendemain matin, a interrompu son service. La voie a été inondée et les ponts ont été emportés par les eaux. 
Dans ce pays barbare, il n’existe d’autre moyen de communication que le chemin de fer. Il n’y a que quelques sentiers, impraticables même aux chevaux. Que faire en cette cruelle alternative ? La diligence va repartir pour Naples. Devons-nous, sans nous reposer, affronter pendant quarante-huit heures encore cette horrible gondole ?
En ce moment critique, voici justement les ingénieurs préposés aux travaux du chemin de fer, qui viennent prendre leur repas. On les interroge, et comme ils espèrent avoir répare le dégât sous peu de jours, nous nous décidons à attendre que la voie ait été remise en état. Ce qu’il y a vraiment d’inimaginable, c’est que cette interruption dans la ligne remontait à quelques jours, et qu’elle était parfaitement connue à Naples lorsque nous en sommes partis. Mais l’administration de la diligence n’avait eu garde d’en prévenir les voyageurs. Or, comme ici, aucuns journaux, aucune affiche, aucun avis ne renseignent jamais personne, nous vîmes chaque soir, durant tout notre séjour à Foggia, la diligence arriver avec des voyageurs qui comptaient, comme nous, prendre le chemin de fer pour se rendre le lendemain a Ancône, et qui devant l’impossibilité reconnue de prendre la voie terrée, s’en retournaient tous penauds, par la même voiture qui les avait amenés. Jamais les diligences de Naples à Foggia n’avaient réalisé de tels bénéfices ! 
Foggia
Foggia compte plus de 15,000 âmes. Ses rues sont droites, ses maisons régulièrement bâties, ses églises bien décorées, ses boutiques nombreuses. On y trouve un beau jardin public, un théâtre, un musée, un séminaire, un hôpital, un évêché, enfin tout ce qui caractérise une grande cité, ce qui ne l’empêche pas de ressembler à un village. Cette simplicité d’aspect est, du reste, commune a toutes les villes de l’Italie méridionale, et Rome elle-même n’y échappe point. 
Le peuple est encore plus souverain à Foggia qu’à Naples. On ne voit que lui, nous n’avons pu apercevoir un seul bourgeois. Où se tient, dans la Capitanate, la classe élevée ? C’est le royaume par excellence des porcs et de la volaille. Truies, suivies de leurs petits cochons de tout âge et de tout poil, coqs, poules et canards, vivent, vont et viennent au milieu de la fange des ruisseaux tandis que, solennellement drapés dans leurs manteaux, les hommes, immobiles et silencieux, passent leur journée sur la place, à se regarder gravement les uns les autres. 
Un ample manteau de drap, jeté sur l’épaule, comme un péplum antique, et un chapeau de feutre, semblent faire ici partie de tout individu. Au logis, en se chauffant au brasier, ou en soupant à la table de la famille, les indigènes restent toujours le corps magistralement enveloppé et la tête couverte. On les prendrait pour des musulmans. 
Les enfants seuls ont de l’activité. Ils sont remuants et laborieux aussi les charge-t-on de toute la besogne. Au café, au restaurant, on ne trouve que des bambins pour vous servir. Ils s’acquittent, d’ailleurs, très diligemment de leur tâche. On dirait qu’ayant usé toutes ses forces dans l’enfance, ce peuple ne peut plus en trouver dans l’âge mûr. Une nourriture insuffisante contribue encore à augmenter son inertie. On n’a pas idée de la misère, de l’insouciance et de l’incurie de cette population indolente. Pour connaître les mœurs d’un pays il ne faut pas les étudier dans les grandes villes qui sont reliées entre elles par la civilisation et les chemins de fer ; il faut s’enfoncer dans les terres qui échappent encore à l’empire du progrès. La Capitanate a toute l’originalité d’un pays vierge, la nature y garde son aspect sauvage, et le peuple la spontanéité de ses instincts.
Nous aimions à déjeuner au café. C’était, d’abord, un repas de moins à prendre dans la salle nauséabonde du restaurant ; puis nous pouvions étudier là, tout à notre aise, les mœurs de la population. Ce café, sans cheminée, ni poêle, garni simplement de petites tables de marbre, est un lieu de réunion fraternel, on l’on se rend pour causer plus que pour consommer. Les maris y amènent leurs femmes ; les femmes leurs amies, les mères leurs enfants, les enfants leurs camarades. Tant qu’il n’était pas complètement rempli, le café restait ouvert ; lorsqu’il était plein, la porte se fermait, et les gens attendaient patiemment, dans la rue, que les premiers arrivés se fussent retires pour prendre leurs places. Un jeune garçon suffisait à servir tout le monde. Je le vois encore s’approcher d’un air cordial, de chaque nouveau venu, pour lui demander ce qu’il souhaitait. Si c’était du café, du chocolat ou un œuf, il s’élançait vers la cuisine ; une demi-heure s’écoulait, après quoi on le voyait revenir, portant une cafetière et des tasses dignes de figurer dans un ménage de poupée, remplies d’un breuvage tiède et anodin. Si on lui répondait qu’on ne désirait rien : « Va bene » disait-il, et il se dirigeait en souriant vers une autre table. On aurait dit, non un garçon de café et des clients, mais un maître de logis recevant cordialement ses invités. 
Foggia possède une promenade qui serait trouvée partout ravissante, mais qui paraît d’autant plus belle ici, que la splendeur de son horizon forme un heureux contraste avec la malpropreté de la ville. Cette promenade, plantée d’arbres verts, décorée de bassins, de cascades, de kiosques, de bosquets, d’allées sablées et de plates-bandes fleuries, était particulièrement agréable dans ce moment de l’année où l’approche du printemps commençait à répandre sur la nature ses grâces et sa jeunesse. Les feuilles, sorties de leurs bourgeons, apparaissaient au soleil nouveau, comme des papillons échappés de leurs cocons. Sur les rochers qui ornaient les bassins, les hautes tiges des iris balançaient déjà les cônes bleuâtres de leurs boutons, et près de l’eau, les fleurs timides des saponaires se coloraient aux premiers effluves de la chaleur. Tout autour de ce jardin, dressé sur un plateau, sans mur, sans haie, et sans barrière, se déroulaient de grandes prairies, au milieu des quelles des troupeaux vagabonds de chevaux et de bœufs paissaient en liberté. Dans le lointain, la chaîne dentelée des Apennins formait un cadre harmonieux à cette perspective sereine. 
Nous avions, le soir, la ressource du théâtre. Les acteurs, et surtout les actrices, avaient une simplicité extrême de ton, de costume et d’allures. Leur jeu était si naturel, que nous avions de la peine à nous figurer être au spectacle. Il nous semblait assister à des scènes de la vie réelle.
Nous n’avons point entendu d’opéra à Foggia, mais des comédies qui, sans la moindre prétention, savaient être gaies et divertissantes. L’une d’elles, intitulée la Queue du diable, ne manquait ni de sel, ni d’esprit. Cette queue était un talisman qui, à l’exemple de tous les talismans passes, présents et futurs, devait réaliser tous les vœux de son heureux possesseur. Mais là s’arrêtait la ressemblance avec le Pied de mouton de notre théâtre de la Porte-Saint-Martin. Au lieu de servir de prétexte à des exhibitions étincelantes-et à des trucs merveilleux, la queue du diable de Foggia n’offrait au spectateur que les véridiques tableaux de ta vie ordinaire. Un rusé paysan avait tout simplement vendu la queue de son âne a un garçon naïf. Ce dernier, croyant posséder un talisman, attribuait à sa puissance toutes les bonnes fortunes qui lui arrivaient. C’était une suite de quiproquos burlesques. Ce genre bouffe, sans musique et sans décors, ne laisse pas que d’être original. Il n’y a point de couplets dans ces sortes de vaudevilles ; l’orchestre reste silencieux dès que la toile est levée. Il se dédommage pendant les entr’actes, en jouant force ouvertures, valses et polkas. 
Nous aurions, en définitive, assez bien passé notre temps à Foggia, sans l’invincible répugnance que soulevait en nous la locanda. La chambre que nous occupions, blanchie à la chaux et privée de rideaux, avait pour tout mobilier quatre lits immenses et deux chaises boiteuses. Nous devions nous estimer heureux d’habiter seul ce grand dortoir, car, s’il était descendu de nouveaux voyageurs à la locanda, ils auraient, sans façon, complété la chambrée. 
Dans ce pays à demi barbare, la propreté est lettre close, aussi bien que la pudeur. Les pots à l’eau et tout autre objet nécessaire aux soins de la toilette, y sont inconnus. Un saladier rempli d’eau, placé dans un coin de la chambre, avait paru bien suffisant pour nous débarbouiller pendant tout notre séjour. Nous eûmes beaucoup de peine à décider la servante à en renouveler l’eau tous les matins. 
Il y a dans chaque locanda une chambre d’honneur. Ce fut celle-là qui nous échut en partage, toutes les autres étant occupées à notre arrivée. 
Il serait difficile d’entrer dans des détails dont le souvenir seul soulève le cœur. Nous dirons seulement qu’un certain cabinet noir, placé dans un coin de la chambre d’honneur, donne le droit à tout individu de la maison, d’y entrer. II fallut offrir une forte buona mano a la servante, pour obtenir la suppression du droit des gens dans la chambre d’honneur, dont le véritable nom serait plutôt celui de chambre d’horreur.
Un autre fléau, tout aussi difficile à supporter que la malpropreté, c’est le froid. Il était très vif dans ces courtes journées de février. On ne pouvait rester dehors après le soleil couché. D’un autre côté, que faire dans cette chambre mal close, sans table, sans lampe, sans cheminée ? Cet affreux séjour tenait à la fois de la prison et de la glacière. Nous n’avions d’autre refuge que la petite salle qui servait de bureau à l’aubergiste. 
Ce bureau n’était qu’une pièce sans fenêtre, étroite et basse. Une pale veilleuse, placée dans un angle, l’éclairait, jour et nuit, d’une lueur faible et tremblante. Toutes les chambres s’ouvraient autour de cet antre lugubre, d’où, sans bouger, l’hôtelier, vieillard infirme, quinteux, sournois, avare et cauteleux, surveillait toute la locanda, perpétuellement enveloppé dans son vieux manteau couleur de tabac. Son personnel se bornait à la servante, petite paysanne des Calabres, et au facchino, gamin borgne et boiteux, mais vif et déluré. Dans un coin, on entassait les bagages dans un autre, on cirait les souliers. Sur une chaise se trouvaient les bouts de chandelle destinés à la couchée (un bout de chandelle d’un centimètre était dévolu à chaque voyageur). Cette petite salle, si vulgaire, si banale et si triste qu’elle fût, nous offrait néanmoins une jouissance suprême, car elle renfermait le seul brasero de la maison. Du matin au soir, le vieillard tournait et retournait, de son doigt parcheminé, les tisons qui se consumaient lentement sous les cendres. Celui qui n’a jamais senti les morsures cruelles d’une bise glacée, ne peut comprendre la volupté du brasero méridional. 
Une population flottante, qui n’avait rien de commun avec les habitants de la ville, et qui n’appartenait pas davantage à la catégorie des voyageurs, allait et venait sans cesse autour du brasero. C’étaient des êtres taciturnes, à l’œil inquiet, aux lèvres minces, drapés dans de grossiers manteaux, et le front caché sous d’amples feutres pointus. Plusieurs d’entre eux s’installaient là et se chauffaient pendant de longues heures. Toujours debout, soupçonneux et silencieux, ils interrogeaient, de temps à autre, l’aubergiste par un regard rapide. Celui-ci, sans desserrer les dents, leur répondait de la même façon, en clignant ses yeux gris. Si ces gens-là ne faisaient pas partie d’une bande de brigands, ils en étaient probablement les affidés, c’est à-dire les bandits les plus dangereux qu’on puisse rencontrer, car personne ne s’en méfie. À l’abri de la police et des gendarmes, ils se renseignent auprès des aubergistes pour instruire les brigands du passage de certains voyageurs.
Heureusement le chemin de fer coupe court à tous ces périls, et nous pensions avec bonheur échapper prochainement, grâce a la vapeur, aux mystérieuses embûches, qui se tramaient autour de nous. 
Trani
Hélas ! Comme la toile de Pénélope, les travaux de réparation du chemin de fer, exécutés pendant le jour, étaient détruits chaque nuit par l’inclémence du ciel, et semblaient reculer au lieu d’avancer. C’était tantôt un orage, tantôt le vent, la pluie ou l’inondation, qui venait les interrompre. On aurait dit que les éléments s’étaient ligués avec la compagnie des diligences pour nous retenir à Foggia. Les ingénieurs n’osaient plus assigner une époque fixe au rétablissement de la voie. Nous étions pourtant bien résolus à quitter Foggia, sa chambre d’honneur, ses escouades de porcs, son restaurant nauséabond et son brasero entouré de figures suspectes. 
Le chemin de fer, interrompu vers le nord, n’avait pas été endommagé vers le midi nous prîmes donc la résolution d’aller attendre à Trani, que la ligne fût réparée. 
Nous ne pûmes obtenir aucun renseignement exact sur Trani, et nous ne savions guère si en préférant cette ville à Foggia, nous n’échangerions pas un cheval borgne contre un cheval aveugle. Mais dans la situation morale où nous nous trouvions, il fallait avant tout varier les impressions, et perdre de vue certains tableaux qui menaçaient de passer à l’état de cauchemar. 
Un grand bonheur consiste déjà à s’installer dans de bons et confortables wagons, qui nous rendent les jouissances de la civilisation, la facilite et les douceurs de la vie. Le ferovia (mot charmant qui signifie voie ferrée) nous met dans une telle ivresse, que nous trouvons trop courtes les trois heures que l’on met à franchir les 80 kilomètres qui séparent Foggia de Trani, où s’arrêtait alors la ligne du chemin de fer de l’Italie méridionale. 
Nous avons d’abord la perspective de pâturages dans lesquels gambadent des chevaux, puis celle de champs de blés, qui, entièrement verts dans ce moment de l’année, ressemblent à une prairie sans fin. Les Apennins dessinent dans le lointain leurs pâles festons, et le ciel, un peu couvert, laisse, par intervalles, glisser entre les nuages quelques éclaircies couleur de feu. Mais bientôt, le paysage devient austère et sinistre. Trois lignes tranchées suffisent à le former pendant des lieues entières, un ne distingue à perte de vue, que le sol d’un vert d’émeraude, l’horizon bleui par les montagnes, et le ciel empourpre comme un manteau sanglant.
À Barletta, le tableau change brusquement. Comme on s’arrête quelques instants à cette station, nous en profitons pour considérer la ville, pourvue de terrasses, de musquées et de minarets, qui lui donnent un caractère tout à fait mauresque. Des femmes accroupies le long des murs blancs, le visage à moitié recouvert par des mantes grossières, ont l’air de musulmanes se chauffant au soleil. Du reste, il est assez naturel que ce pays reflète l’aspect et les coutumes de la Turquie, car il n’en est séparé que par l’Adriatique. 
Barletta est un port de mer. L’Adriatique s’offre pour la première fois à nos regards, et jusqu’à Trani, nous côtoyons ses bords jaunes et saumâtres. Cette mer singulière ne rappelle aucune des beautés de l’Océan ni de la Méditerranée. Ses eaux bourbeuses, sans majesté et sans vagues, ballottent lourdement contre un rivage misérable et malsain. On dirait les flots courroucés d’un fleuve fangeux. 
Nul village, nul hameau, nulle maison, ne s’élèvent dans les plaines marécageuses que nous traversons. On ne rencontre que quelques cahutes au toit arrondi, bâties avec de grosses pierres, pour servir d’abri aux paysans ou aux chasseurs. 
Cette contrée est restée longtemps au pouvoir des Sarrasins. Or il n’est rien comme l’antagonisme de deux cultes rivaux pour développer le fanatisme religieux. Tous ceux qui ne sont pas ici juifs ou musulmans, sont des catholiques frénétiques. Aussi ne surprendrons-nous personne en rappelant que c’est à Barletta qu’eut lieu, en 1866, un horrible massacre de protestants, par une populace fanatisée. 
Des croix de bois se dressent partout et jusqu’au milieu des champs, si bien que la campagne ressemble à un grand cimetière. 
Vers midi, nous arrivons à Trani. Comme l’expérience nous avait appris à nous méfier des auberges, nous avions eu la précaution d’emporter de Foggia, pour notre déjeuner, un panier contenant du pain, une bouteille de vin et un poulet rôti. 
Selon la déplorable habitude du pays, nous sommes assaillis à la gare, par une nuée de facchini, qui se disputent d’abord nos bagages, puis le droit de nous accompagner à la locanda. Au milieu d’un tohu-bohu sans égal, il nous échoit en partage les deux plus affreux cicerone que la terre ait jamais vomis. L’un est un vieillard hargneux, aux yeux rouges, aux cheveux hérissés, a demi vêtu de haillons sordides ; l’autre, un petit garçon trapu, borgne et le corps perdu dans de vastes guenilles. Le premier a mis notre malle sur son dos, le second s’est emparé de notre panier, et nous voilà cheminant derrière ces deux horribles créatures, dans les rues, non moins horribles, de Trani
Cette ville est encore plus laide et plus infecte que Foggia. Les rues sont tortueuses, noires, boueuses, mal pavées, bordées de maisons misérables, et peuplées d’atroces gens en haillons. Je ne sais si l’Adriatique entre dans la ville ou si les eaux de la pluie y séjournent, mais chaque rue est un cloaque. La population, composée de marins et de commerçants, est active et remuante. On ne voit point de forum, ni d’individus graves et calmes drapés dans leurs manteaux, mais des gens en veste et en bonnet de laine, affairés et grossiers. On ne rencontre aucun visage riant. Tout est hideux : la mer, le port, les figures, les costumes. Les enfants mêmes sont ridés, déjetés, usés avant l’heure. 
Pour surcroît, voici la pluie et le vent qui se mêlent de la partie, et viennent transir nos pauvres corps errants. Nous atteignons ainsi le seuil d’une locanda d’assez piteuse apparence. L’hôtesse accourt, mais c’est pour nous fermer la porte au nez, en criant qu’elle n’a pas de chambre vacante. 
Les deux facchini, qui avaient déjà fait mine de poser leur fardeau, reprennent, en grognant, l’un la malle, l’autre le panier, et après de nombreux circuits dans d’atroces ruelles, nous frappons à une seconde auberge. On nous fait monter au premier étage, où, comme de raison, on nous ouvre la chambre d’honneur. Celle-ci, outre l’ignoble cabinet et les quatre lits de rigueur, possède une armée d’oreillers, qui nous parait tout à fait insolite. Nous en comptons jusqu’à six dans un lit, non pas amoncelés les uns sur les autres, mais espacés à égale distance, sur le traversin. Ils marquent la place de chaque voyageur. Dans un lit couchent les femmes, dans l’autre les hommes. Comme il faut être né dans la Capitanate pour trouver naturelle une pareille promiscuité, nous n’avons gardé d’accepter l’hospitalité de cette étrange chambrée. Dans quel guêpier sommes-nous tombés pour en être réduits à regretter Foggia !
Nos facchini, tout en maugréant, nous dirigent vers une autre locanda ; c’est la dernière. Ici, point de chambre d’honneur, mais une suite de vastes couloirs, communiquant les uns avec les autres, sans portes et sans fenêtres. Les lits, qui ont des proportions plus modestes, sont tous flanqués d’immenses jarres d’huile, d’où s’exhale une odeur âcre et nauséabonde. Dans ces corridors ouverts à tout venant, et qui servent à la fois d’entrepôts et de chambres, il n’y a point de verrous aux portes. Seulement il y a des couteaux ouverts sur les lits. Comme une veilleuse sanglante, une lame, fraîchement aiguisée, brille sur chaque traversin. C’est pire que les oreillers de la première auberge. Et comme nous tressaillons en découvrant ces défenses sinistres :
« Ma locanda est destinée aux marchands ; il en vient souvent de très riches, nous dit fièrement l’hôtesse, et ils ont l’habitude de dormir avec leurs couteaux. Mais, si vous préférez, ajoute-t-elle, une chambre bourgeoise, ma sœur, veuve d’un marin, en a une libre, où elle pourra vous loger. » 
La proposition est acceptée, et toujours précédée des hideux facchini, nous nous remettons en marche, l’estomac creux, l’âme découragée et l’esprit livré à d’amères réflexions, nous frappons à la porte du logis, chétif et malpropre, de l’ancien marin. Une petite servante vient nous ouvrir. Elle nous prie de monter et d’attendre quelques instants sa maîtresse, qui est sortie, emportant la clef de la chambre en question. Il faut peu de chose pour ramener la gaieté dans le cœur du voyageur la vue d’une terrasse élevée au milieu de la demeure nous réjouit subitement. La pluie a cessé, le ciel est bleu, l’air doux et tiède, et cette cour au premier étage, encadrée de murs blancs et lisses, sur lesquels se détache le tronc svelte de quelques grenadiers, avec les torses pansus de cactus plantureux, nous apparaît comme l’oasis de ces lieux sauvages. Avec une table et deux chaises, nous allons avoir lit une charmante salle à manger. 
Je laisse à mon mari le soin de faire servir le déjeuner sur cette jolie terrasse, et sur l’annonce du retour de l’hôtesse, je vais présider à l’installation de nos bagages, dans la chambre qui nous est destinée. 
Je suis assez surprise, en entrant dans la chambre, d’y trouver la maitresse du logis occupée à faire l’inspection de notre modeste malle. C’était une vieille femme, bossue, rachitique, bilieuse, aux yeux éraillés, à la bouche édentée. Ses cheveux gris sortaient en mèches hérissées, de sa coiffe sale ; sa jupe trouée laissait voir, dans leur nudité, ses jambes velues ; sus grands pieds plats perçaient à travers de mauvais patins de cuir. Elle avait le regard dur, la lèvre paie, la physionomie fausse et cruelle. Elle secouait, d’un air furieux, nos humbles bagages, en demandant au facchino, si nous n’avions pas d’autre roba (colis).
« À quoi peut penser ma sœur, de m’envoyer de pareils voyageurs ? disait-elle en grommelant ; il n’y aura rien il faire avec eux. »
Dès qu’elle m’aperçut, la mégère courut à moi, et enlevant, d’un geste impérieux et rapide, la mante qui m’enveloppait :
« Comment s’écria-t-elle, pas même des boucles d’oreille, aucun collier, aucun bijou ? Ma sœur est folle, et cette forestière ne vaut pas la peine qu’on l’étrangle. Elle n’aurait pas de quoi payer la corde, ajoute-t-elle avec un rire hideux. »
La vieille marinière s’exprimait dans cette langue singulière, appelée la langue franque, formée de mots turcs, siciliens, italiens, espagnols et languedociens, qui est en usage parmi les marins, sur toutes les cotes de la Méditerranée. Elle s’imaginait, que je ne pouvais la comprendre. Cependant, par un heureux hasard, ce dialecte est celui des gitanes maritimes du bas Languedoc, mon pays. Il m’était donc assez familier pour que je ne perdisse pas une seule des paroles de la farouche aubergiste.
Je ne jugeai pas à propos de lui répondre. Seulement, je fis mon profit de ce que je venais d’entendre, et résolus de quitter sur-le-champ cet horrible repaire. La plupart des vols et des meurtres ont pour théâtre des réduits analogues, et je frissonnai en découvrant sur le pave de larges taches brunes, tandis que la fenêtre s’ouvrait, comme une tombe, sur la mer profonde et silencieuse. Que de drames sanglants avaient dû se dérouler en ces lieux, et quels dangers, ce pays, prive de police et de surveillance, n’offrait-il pas aux voyageurs ! 
Je priai le facchino de reprendre la malle ; ce qu’il ne fit pas sans une horrible grimace, et je sortis rapidement de cette chambre sinistre. Quelle ne fut pas ma terreur, en traversant la cuisine, d’y apercevoir, assis autour d’une table et devisant n voix basse, les gens à mine suspecte de Foggia! C’en était trop. Je ne fis qu’un bond sur la terrasse, et sans me donner le temps d’expliquer à mon mari les dangers de la situation, je le suppliai de repartir à l’instant. Nous pouvions, en nous hâtant, prendre le train de trois heures pour revenir à Foggia ; c’était le seul. 
L’hôtesse ne daigna pas même s’informer du motif de notre brusque départ. Elle se contenta de nous jeter un regard dédaigneux. 
Nous courûmes au chemin de fer, et montâmes dans le premier wagon ouvert. En ce moment même, le train repartait pour Foggia. Une fois en route je respirai.
Après l’apaisement de l’esprit, il était urgent de songer à celui de l’estomac. Nous mourions de faim. Mais quelle déception ! Le fameux poulet, espérance caressée depuis le matin, se trouve n’être qu’un vieux coq, si dur, si sec, si décharné, qu’il résiste à tous les efforts du couteau et de la dent. Nous n’avons jamais vu de plus atroces volailles que celles de la Capitanate. Maigres, ankylosées comme leurs maîtres, elles errent piteusement dans les rues. Il faut une occasion solennelle pour qu’un habitant se décide à immoler un de ses compagnons emplumés ; et comme on choisit toujours le patriarche de la bande, il en résulte que tous les produits de la broche sont outrageusement coriaces. 
Qui nous eût dit, le matin, que nous serions heureux de retrouver Foggia, son forum, son restaurant nauséabond et sa chambre d’honneur !
La petite servante parut étonnée et joyeuse à notre vue. Née sur le littoral, elle ne parlait guère que la langue franque. Heureuse de pouvoir causer, dans cet idiome, avec une forestière, et reconnaissante de quelques menues hardes que je lui avais données, elle me tenait en grande estime. 
Vers dix heures, lorsque la ville devenue silencieuse, eut éteint sa dernière lanterne, que l’hôte eut quitté son fauteuil, et que chaque voyageur se fut retiré dans sa chambre, la jeune camérière m’appela. 
« Signora, me dit-elle, vous êtes revenue de Trani ; c’est un miracle qu’a fait la sainte Vierge. Qui sait si elle vous protégera encore lorsque vous repartirez ? Je ne voudrais pas qu’il vous arrivât malheur. Si vous voulez venir dans la salle, et répéter à ceux qui s’y trouvent ce que je vous dirai, vous ne courrez plus aucun danger. »
Je la suivis. Six à huit individus, le corps enveloppé dans de grands manteaux, et le visage caché sous les épais rebords de leur chapeau de feutre, formaient, autour du brasero, un cercle rébarbatif. Je reconnus les mêmes gens que j’avais vus, les jours précédents, rôder dans l’auberge. La lueur incertaine de la veilleuse donnait à leurs traits immobiles les tons mats de la cire ; tandis que la flamme pétillante des sarments de vigne qu’on avait jetés dans le brasero, faisait étinceler leurs prunelles fauves, au fond de leurs orbites. 
« N’est-ce pas que vous êtes Espagnole, signora ? Me dit vivement la petite servante, en me pressant la main ; n’est-ce pas que vous n’avez jamais eu ni père, ni frère, ni mari, ni fiancé, militaire ? N’est-ce pas que vous avez confiance dans la Madone, et que vous considérez les brigands comme des gens de religion, qui gagnent honnêtement leur vie en enlevant aux riches le surplus de leur bien ? »
La profession de foi était étrange ; mais je n’avais guère le choix d’en faire une autre. Il paraît que mon mari avait été pris pour un officier français. C’était ce qu’il y avait de plus dangereux, et il fallait à tout prix détromper les bandits, qui attendaient silencieusement ma réponse. 
Tant bien que mal, je répétai, en langue franque, la leçon de la petite servante. De plus, me rappelant la sympathie des brigands italiens pour leurs confrères espagnols, je leur racontai ce que j’avais appris a Rome, à savoir que certaines bandes de brigands des Abruzzes se renforçaient chaque jour de nouvelles recrues arrivées d’Espagne. 
Ce récit acheva de dissiper tous les soupçons. Les manteaux s’écartèrent, les tètes se découvrirent ; à l’expression sinistre et farouche des visages succéda un air de soumission et de bienveillance. Tous jurèrent non-seulement de respecter nos personnes, mais de les protéger, le cas échéant. 
Ces gens singuliers ne connaissent que la haine ou l’adoration. Ils tuent ou ils sauvent ; et chose vraiment inexplicable, avec des mœurs aussi sauvages, ils ne manquent jamais à leur parole. 
Nous pouvions vivre désormais en toute sécurité à Foggia. Cependant, soit un reste de crainte, soit le vacarme que firent des souris en grignotant et s’agitant dans notre paillasse de mais, nous ne pûmes fermer l’œil de la nuit; ce qui nous permit de constater une assez forte secousse de tremblement de terre. On ressent fréquemment à Foggia ces frémissements du sol. En 1731, entre autres, il y eut un tremblement de terre si violent, qu’il détruisit une grande partie de cette ville. En octobre 1866, une autre secousse avait ébranlé Foggia et renverse un grand nombre de maisons. 
Nous étions décidés à quitter a tout prix un pays voué à tant de fléaux, et comme nous n’avions plus aucune confiance dans ces chemins de fer qui ne peuvent supporter ni la pluie, ni l’ouragan, nous arrêtons, au point du jour, nos places dans la diligence qui doit partir le soir même pour Naples. 
Rien n’est triste comme ces dernières heures passées dans une ville misérable, où sont interdites toutes les facilités de la vie. Il a neigé, le froid est intense, et on ne peut se chauffer, Nous demandons en vain une côtelette, un bouillon ; nous ne trouvons, pour restaurer nos estomacs affaiblis, qu’un vin âpre, du pain dur et des ragoûts immondes. 
Quel bonheur, après diner, de remonter dans la lourde voiture postale, et de repartir pour Naples !
De Foggia à Naples
Cinq carabiniers, casque en tête, sabre au poing et pistolets dans les fontes, nous escortent pendant quelques kilomètres ; puis, lorsque nous sommes éloignés de toute habitation, ils s’en retournent, nous abandonnant à notre sort, comme on l’avait fait à notre départ de Naples.
Le personnel de la diligence est, cette fois, très-restreint. On est fort à l’aise sur les banquettes, et le corriere peut, sans importuner personne, étaler autour de lui son sac et ses dépêches. Nous préférerions cependant plus de gêne et moins de solitude, car l’isolement de la route paraît plus effrayant encore en face de ce grand omnibus à moitié vide. 
Les voyageurs se bornent à un capitaine d’infanterie, qui vient de passer un congé dans sa famille, à Barletta, et à son soldat d’ordonnance, jeune homme abruti par le tabac, et dont la pipe bourrée sans relâche ne cesse de nous envelopper d’une âcre fumée. 
Le jeune capitaine a l’âme élevée, le cœur excellent, la conversation facile et l’esprit agréable ; mais c’est le plus désastreux compagnon que nous puissions rencontrer, car il a dirigé, il y a un an, plusieurs attaques contre les brigands, qui lui ont voué une haine mortelle. 
Le capitaine et son soldat d’ordonnance voyagent en habits bourgeois mais les bandits ont autant de flair pour découvrir un ennemi que de cruauté à assouvir leur vengeance, et nous ne pouvons-nous dissimuler les dangers que nous courons à voyager avec un homme dont la tête est signalée à tous les brigands de ces montagnes.
Il y a quelques mois à peine qu’une troupe de cinq cents bandits bien armés rendait inabordable la route que nous suivons. Lorsque le roi Victor-Emmanuel traversa cette contrée en allant prendre possession de Naples, il dut voyager escorté de plusieurs escadrons de cavalerie. Le nouveau gouvernement, une fois installé, certaines mesures énergiques furent prises, entre autres celle du déboisement des routes. L’armée, dont le quartier général était établi à Avellino, sous les ordres du général Pallavaccini, eut alors raison d’un grand nombre de brigands, qui furent fusillés sans miséricorde. Mais ceux qu’on n’a pu saisir, menacent toujours le repos des voyageurs, et il ne se passait point de semaine, à l’époque où nous nous trouvions dans la Capitanate, qu’il n’y eût quelque escarmouche entre les soldats et les bandits. 
Plusieurs compagnies d’infanterie, disséminées dans le pays, veillent à la sûreté publique. De loin en loin des guérites de sentinelles se dressent dans la campagne nue ; tandis que des postes militaires, espacés au bord de la route, s’aperçoivent, à demi cachés dans les plis du terrain. 
Les opéras comiques, les tableaux et les romans ont enjolivé, nous ne savons trop pourquoi, les bandits italiens. Au lieu de les représenter tels qu’ils sont, voleurs et assassins, on en a fait des espèces de héros. D’un autre côté, certains voyageurs, qui ont eu l’heureuse chance de n’avoir pas été arrêtés en Italie, mettent un singulier orgueil à nier l’existence des brigands. Il est remarquable que ce soit précisément ceux qui ne se sont point hasardés hors des villes, qui assurent, d’un ton tranchant, que le brigandage est une fiction inventée pour effrayer les gens pusillanimes. Quelques-uns plaisantent même sur ce triste sujet, et n’épargnent, à ce propos, ni leurs sarcasmes, ni leurs moqueries. Sceptiques et rieurs changeraient bien vite d’avis s’ils traversaient cette partie désolée de la Capitanate, où les arbres coupés, les récoltes détruites, les haies brûlées, les maisons abandonnées, dénoncent à chaque pas toute l’horreur d’une lutte barbare. 
Le capitaine avec lequel nous voyageons, et qui nous raconte, en souriant, qu’il a reçu une balle à la bataille de San Martino (Solferino) et un coup de sabre à Magenta, ne peut s’empêcher de pâlir en se retraçant les scènes horribles dont il a été témoin dans les lieux où nous nous trouvons. Un jour, près du village de Rovino, les brigands massacrèrent sous ses yeux presque tous les soldats de sa compagnie. Chaque rocher, chaque buisson lui rappelle des heures douloureusement sanglantes.
« Nos combats avec les brigands n’ont rien de l’entrainement ni de l’enthousiasme que provoque la guerre, nous dit-il tristement c’est le meurtre dans toute son horreur. »
Le corriere écoutait en silence. Seulement, de temps à autre, un sourire énigmatique lissait sur ses lèvres jaunes et minces. C’était un homme jeune encore, maigre et flétri, dont les membres fluets se perdaient dans des habits trop grands, noirs et râpes. Une mentonnière de soie noire, ajoutée à sa casquette d’uniforme, encadrait d’une bordure lugubre son visage décoloré. Il était atteint de malaria. Tout son être tremblait la fièvre, et ses yeux bleus, à fleur de tête, fixaient vaguement les objets sans les voir. Sa parole était caverneuse, sa main placée, son regard éteint. Ses os craquaient comme ceux d’un squelette, et ses genoux secs et pointus perçaient à travers son pantalon de drap mince. On avait froid en le regardant, son contact mettait mal à l’aise. On aurait dit l’ombre d’un donneur d’eau bénite, et maigre soi, on cherchait un goupillon dans la main décharnée de cet être blême et immuable. 
Il nous apprit lui-même qu’on n’aimait guère à se trouver avec lui, et que le plus souvent il voyageait presque seul avec ses dépêches. Créature déshéritée du ciel et des humains, le corriere appartenait à cette catégorie de parias que le peuple appelle jettatore.
« Sans le vouloir, je porte malheur à tous ceux que j’approche, » nous dit-il d’un air sombre. 
Il ne nous manquait plus que cela : nous étions placés entre un capitaine de bersagliers, haï des brigands, et un jettatore qui portait le malheur avec lui !
Grace à Dieu nous ne partagions nullement la superstition du pays, et nous pensâmes plutôt à plaindre ce malheureux qu’à nous préserver de son influence en touchant du fer ou en lui faisant les cornes, selon les us populaires. Mais il y a certaines appréhensions qui, comme le lait maternel, s’infiltrent dans le cœur dès la naissance, et notre capitaine porta plusieurs fois la main à la breloque de corail que tout bon Italien met sur sa poitrine, pour se préserver du mauvais œil.
Tant que nous fûmes en plaine, la voiture roula assez bien sur la route couverte de neige. Mais arrivés sur la montagne, les neuf chevaux et les trois bœufs qui la traînaient, eurent une peine extrême à la faire avancer. La neige avait, dans quelques endroits, plus d’un mètre d’épaisseur ; la diligence s’y enfonçait jusqu’au-dessus des roues, et l’attelage développait des efforts inouïs pour la tirer de ce mauvais pas. 
Heureusement le clair de lune était admirable, et la campagne, argentée par la neige, offrait une perspective merveilleuse. Les montagnes privées d’arbres, et revêtues d’une couche de neige lisse et miroitante, ressemblaient aux glaciers de la Savoie. 
Combien l’aspect du paysage était différent du jour où nous l’avions vu pour la première fois, en nous rendant de Naples à Foggia ! Nous ne reconnaissions guère les Apennins sous leur nouvel aspect. La nature est une fée qui, sans cesse, varie et transforme ses tableaux. Après avoir admiré ces montagnes dans leur caractère pittoresque et sauvage, nous les contemplions parés d’une blancheur éblouissante, que la lumière d’une lune éclatante rendait plus radieux encore. 
Tout d’un coup, au milieu de la nuit, sur un plateau élevé, à l’endroit le plus désert de la route, et loin de tout secours, la diligence disparaît à moitié dans une ornière de neige. En vain les conducteurs excitent-ils leurs chevaux. Cris, coups de fouet, encouragements et malédictions, tout est inutile ; rien ne parvient à ébranler la voiture ; il est tout à fait impossible de la tirer de l’amas de neige dans lequel elle est enclavée. 
Seul, le corriere ne s’émeut pas. Pendant que les postillons attendent ses ordres, il assujettit sa mentonnière, roule ses mains dans un pan de son caban, appuie sa tête contre les parois de la voiture, et claquant des dents, se dispose philosophiquement à subir son accès de fièvre. Ni prières, ni menaces n’ébranlent son impassibilité. Atrophié par la fièvre, il était en proie a une de ces prostrations physiques et morales qui, comme le mal de mer, suppriment les facultés. Tout lui était devenu indifférent, la vie aussi bien que la mort. 
Cependant notre situation est inquiétante. Il nous revient à l’esprit tous les accidents arrivés dans les neiges, entre autres le sort horrible de M. Aguado, riche banquier espagnol, qui, en traversant les Pyrénées, pendant l’hiver, eut sa voiture à moitié ensevelie dans la neige, manqua de chevaux pour l’en retirer, et mourut de faim et de froid au fond de sa chaise de poste. Notre situation était à peu près semblable. 
Nos supplications décidèrent enfin les conducteurs de chevaux à se passer de l’avis du corner anéanti, et à aller requérir, sans plus tarder, du renfort à la ferme la plus voisine. Ils montent sur deux chevaux détachés de la diligence, et partent, en nous laissant morfondus et transis, dans cette voiture glaciale, échouée dans les neiges. 
Après deux heures d’une anxiété inexprimable, ou le froid de la nuit nous engourdissait de plus en plus, les postillons reviennent, avec tout le bétail qu’ils ont pu trouver. Vaches, ânes, mulets, sont attelés avec des cordes, devant les chevaux. On excite tout cet attelage bigarre ; on le tire, la voiture s’ébranle. Mais un craquement se fait entendre : le timon est brisé ! Les postillons déclarent qu’ils ne peuvent plus rien faire pour nous, et dételant toutes leurs bêtes, ils vont attendre, au relais prochain, la diligence de la concurrence, laquelle aura bientôt besoin de leur aide. Quant à nous, nous n’avons d’autre parti à prendre que d’attendre les secours qu’ils nous enverront, dès qu’il fera jour. 
Nous voilà donc abandonnés dans la neige, au milieu de la nuit, sur une route déserte, livrés aux morsures du froid, et l’esprit agité par une cruelle angoisse.
Il est un sentiment d’humanité qui, en dépit de tout, refoule l’égoïsme et réchauffe le cœur. La vue du courrier agonisant fait trêve à nos craintes personnelles, et chacun de nous trouve des forces pour le secourir. Pendant que le capitaine et son soldat d’ordonnance frictionnent énergiquement ses membres inertes, nous lui faisons respirer des sels et boire quelques gouttes de vin de Marsala. Nous avions emporté de Foggia un panier garni de provisions, peu substantielles, il est vrai, car on est obligé de se conformer aux ressources de chaque pays. À défaut de viande, nous avions donc acheté des confitures sèches, des pâtisseries, du chocolat, et une infinité de ces menues friandises qui tiennent ici la place des rosbifs et des biftecks. 
L’inanition était pour beaucoup dans la faiblesse du corriere ; dès qu’il eut avale quelques gorgées de vin de Marsala, et quelques écorces toniques d’oranges et de cédrats confits, il revint peu a peu à lui-même. 
Ces marques d’intérêt et de sympathie étaient les premières que le malheureux eût jamais reçues de ses semblables. Vivant presque toujours seul dans sa triste voiture, miné par la fièvre, aigri contre la société qui l’avait repoussé, il n’avait jusqu’alors éprouvé qu’une haine sourde contre les voyageurs. Une âpre jalousie rongeait son âme. Placé en dehors du bonheur, il lui était interdit, par sa réputation de jettatore, de goûter aucune affection, aucune joie, aucune espérance. La beauté, la jeunesse, la gaieté d’autrui, ne faisaient vibrer en son cœur que les cordes, douloureuses et aiguës, des regrets ou de l’envie. 
Comme ces blocs de granit, qui, après avoir résisté aux fureurs des tempêtes, s’amollissent et deviennent friables sous la rosée matinale, le cœur ulcéré du corriere s’adoucit et se détendit à nos soins empressés. L’étonnement et la reconnaissance amenèrent de grosses larmes dans ses yeux, qu’illumina un faible éclair, et nous prenant les mains avec émotion 
« Merci, nous dit-il d’un accent pénétré vous avez fait plus de bien encore à mon âme qu’n mon corps. Ah ! Si vous saviez quel sort horrible est départi à un jettatore ! J’étais né tendre et bon, et si je suis devenu méchant, cela n’a pas été sans beaucoup souffrir. » 
Soudain le capitaine tressaille, et nous désignant à l’horizon quelques points noirs qui s’agitent au loin sur la neige :
« Voilà les brigands qui paraissent sur la crête de la montagne, nous dit-il. J’ai tout juste le temps d’aller avertir le lieutenant du poste voisin. » 
Et, comme nous manifestions le désir de l’accompagner : 
« Vous me retarderiez inutilement, nous dit-il. Il faut être habitué à ces montagnes, pour s’y hasarder avec la neige. Je prendrai des raccourcis où vous ne pourriez me suivre. Tu connais aussi le pays, dit-il à son soldat d’ordonnance. Tu vas au plus vite requérir, en mon nom, tous les bœufs et les bouviers des campagnes voisines. Les bouviers déblayeront la voiture de la neige ; puis on attellera avec leur joug les bœufs au timon. Ils pourront seuls nous tirer de cette neige épaisse. 
« Si les bœufs se faisaient trop attendre, ajoute le capitaine, ayant pitié de notre inquiétude, vous viendriez me rejoindre à pied au poste, qui n’est qu’à une lieue d’ici. Par la grande route, ce sera plus facile, je vous enverrai des soldats pour vous escorter. » 
Le capitaine part d’un côté, le soldat d’ordonnance de l’autre, et nous voilà seuls dans ce désert de neige, menacés de la visite des brigands, ayant pour toute compagnie le malheureux corriere, qui est retombé en syncope. 
Tout à coup, il se lève, regarde par la portière, pousse un cri, et nous montrant du doigt sur le sol une masse informe. 
« C’est le cadavre d’un brigand, dit-il ; on l’aura tué dans la rencontre qui a eu lieu la nuit dernière, et la neige est son tombeau. » 
Devant nous se dessinait, en effet, sous la neige, le corps d’un homme. Çà et là quelques bouts de ses vêtements, soulèves par la bise, apparaissaient et flottaient dans l’air ; tandis qu’une de ses mains, entièrement découverte, se dressait, osseuse et jaune, comme celle d’un spectre, au-dessus de la neige qui la couvrait.
La vue de ce cadavre éclaire par la lune, porta le comble à mon épouvante. La lorgnette à la main, nous suivions la marche des points noirs sur la montagne voisine. Ils grandissaient, ils avançaient. Nous commencions à distinguer les fusils et les chapeaux pointus et nous ne pouvions bouger. Notre situation avait toute l’horreur de ces cauchemars dans lesquels on ne peut fuir un danger qui ne cesse de s’approcher. 
Le silence de ces lieux sinistres n’était interrompu que par le bruit monotone et métallique des fils du télégraphe électrique, plantés au bord de la route, et qui, agités par le vent, frappaient, d’une façon saccadée, les godets de porcelaine des poteaux. Comme le mouvement du balancier d’une pendule, ces petits coups, secs et réguliers, semblaient marquer chaque minute de cette nuit lugubre. Cette voix mécanique, fille de la civilisation et de la science, qui vibrait au milieu des périls de tout genre qui nous environnaient, était une amère et triste dérision, du sort. 
Il est des impressions si violentes que le temps ne saurait les effacer. Je ne puis encore aujourd’hui entendre tinter les godets des fils électriques, sans me rappeler l’heure néfaste où je les écoutais s’entrechoquer en cadence, sur le sommet glacé des Apennins. 
Cependant la nature poursuit chaque jour sa marche immuable et régulière, sans s’inquiéter des tourmentes humaines. L’aurore se lève à l’horizon, et verse sur la neige des flots de pourpre et d’or. On dirait que le ciel en fête veut décorer la terre de toutes ses splendeurs. Ce lever du soleil est si majestueux, qu’il nous offre une trêve suprême, dans laquelle nous ne songions qu’à contempler l’œuvre sublime du Créateur. Messagère de l’espérance, réveil de l’activité, source de chaleur et de vie, la lumière donne au prisonnier sa consolation, au regard humain son étincelle, a tous les êtres la confiance et la foi. Pendant que les rayons du jour qui vient de naitre font resplendir la campagne, nos cœurs, transportés d’allégresse, se réveillent et s’illuminent à son contact. 
Au détour de la route, des fusils reluisent au soleil. Mais ce ne sont pas les armes des brigands nous reconnaissons, quand ils sont un peu plus près, quatre soldats, qui nous sont envoyés du poste voisin, par le capitaine. Nous allons donc pouvoir agir, marcher, échapper aux dangers qui nous menacent. Nous sautons à bas de cette odieuse diligence, en priant les soldats de nous accompagner au premier poste militaire. 
« La route est difficile, nous disent-ils, on a beaucoup de peine il marcher dans la neige amoncelée ; il vaudrait peut-être mieux attendre le retour du soldat d’ordonnance et les bœufs qu’il est allé chercher. »
« Arriveraient-ils assez tôt pour nous soustraire aux brigands, qui se rapprochent de plus en plus? Le mieux est de fuir ces lieux sinistres. Que nous importe la fatigue ? Notre inaction est le pire des dangers. 
Cependant, au moment de nous mettre en marche, le corriere, qui sort brusquement de sa torpeur, pousse des cris lamentables, et s’oppose à ce qu’on l’abandonne, prétendant que ses dépêches sont un dépôt sacre, qu’il faut préserver avant tout, et que les soldats, au lieu de nous escorter, doivent rester auprès de la diligence, pour la défendre en cas d’attaque. 
Les soldats, fort embarrassés, ne savaient à qui entendre. On finit par partager le différend. Le corriere gardera deux hommes, et nous prendrons les deux autres. Ceci est exécute sur-le-champ, et nous nous engageons, avec nos deux troupiers, sur la route couverte de neige. 
Le soleil est déjà haut dans le ciel ; pendant que nos pieds sont engourdis par le froid, nos têtes, exposées à des rayons brulants, sont en feu, et nos yeux, éblouis par la blanche surface du sol, ont peine à nous guider.
La marche est, en effet, très pénible dans cette neige épaisse, ou nous nous enfonçons jusqu’aux genoux, et dont la réverbération cause un malaise assez semblable à l’effet du magnétisme. Nous ne pouvons faire un pas sans soulever de lourdes pelotes de neige. La route, les haies, les ornières, les talus, en sont si bien recouverts, que les poteaux du télégraphe peuvent seuls nous guider. Ni maisons, ni arbres, ni charrettes, ni aucune créature vivante, ne se rencontrent en ce désert. 
Heureusement, notre surexcitation nous donne des forces, et nous franchissons aisément des obstacles que, de sang-froid, nous n’aurions point osé aborder. Il nous faut même, de temps à autre, remonter le courage de nos deux soldats, qui, faibles et transis, plient sous le poids de leur fusil, et trainent avec peine leurs soutiers, alourdis par la neige. Ce sont de jeunes gens frêles et débiles, comme sont ici toutes les recrues. Ils étaient encore fatigués de l’escarmouche contre les brigands, qui avait eu lieu la nuit précédente, et nous nous demandions de quel secours pourraient nous être ces pauvres garçons, si nous rencontrions les brigands sur la route. 
Après une heure de marche fatigante à travers les neiges, à l’ardeur du soleil, dévorés par la soif, les pieds mouillés, l’âme et le corps exténués, nous arrivons, vers dix heures du matin, au poste militaire. 
Ce poste n’est qu’une mauvaise et grossière cabane, composée de quelques planches revêtues de plâtre. Un sol humide eu forme le parquet. Un petit judas, pour inspecter le pays sans être vu et que l’on a pratiqué au milieu d’une lucarne condamnée, l’éclairé d’un jour triste et blafard. Une cloison de bois divise en deux parties ce chétif réduit. La première renferme les lits de camp des soldats et les munitions, l’autre est destinée au lieutenant qui commande le poste. Une mince couchette, des armes en faisceaux, une table, deux chaises, et quelques ustensiles de cuisine, forment tout le mobilier de cette chambre militaire. Une chèvre, entourée de quelques poules, bêle sur le seuil. Mais si misérable qu’il soit, ce logis nous offre une hospitalité précieuse.
Le lieutenant du poste avait été averti de notre visite par notre compagnon de voyage, le capitaine, et tous deux, aidés d’un vieux sergent, nous avaient préparé une réception aussi réconfortante que cordiale. 
Un grand feu de sarments brûlait dans l’âtre, la chèvre avait fourni son lait et la tribu volatile son plus beau poulet. Le repas improvisé, pompeusement servi sur des mouchoirs blancs, en guise de nappe, n’attendait plus que nous. Un arôme exquis s’exhalait d’une cafetière posée sur un réchaud, tandis que les pantoufles et toute la garde-robe du lieutenant, mise à notre disposition, s’étalait devant le feu, pour remplacer nos chaussures roidies et nos habits mouillés. Il n’y eut pas jusqu’au chien qui ne voulut venir nous souhaiter la bienvenue. Après avoir lèche nos mains, le bon animal se mit à gambader, en aboyant gaiement autour de nous. 
Il faut avoir échappé à de sérieux dangers, avoir souffert du froid, de la faim, et revenir d’un lieu isolé et sauvage, pour comprendre tout le bonheur que fait éprouver la vue d’un repas offert par des hôtes empressée, la flamme pétillante du bois sec et la voix amicale d’un chien. 
Ce fut une heure de béatitude extrême que celle qui, succédant a tant d’anxiétés, s’écoula, douce et paisible, dans ce refuge hospitalier. 
Le lieutenant du poste nous apprit qu’au moment où nous étions descendus de diligence, il se disposait à marcher à la rencontre des brigands mais qu’il les avait vus, grâce à sa lunette, faire subitement volte-face, et s’en retourner dans leurs montagnes. Avaient-ils aperçu les fusils des soldats ; ne se souciaient-ils plus d’arrêter la voiture privée de voyageurs ; ou bien les neiges, très-épaisses de leur côté, les avaient-elles empêchés de descendre ? quoi qu’il en fut, leur présence n’étant plus à craindre, nous pouvions, en toute sécurité, goûter le charme d’un accueil bienveillant. 
Ce fut avec une vive sympathie que nous apprîmes les souffrances, les périls, les privations de tout genre, qui sont dévolus aux soldats italiens appelés à combattre le brigandage. Rien de plus douloureux pour des hommes de cœur que cette citasse humaine rien de plus triste que les journées passées dans ces déserts ; rien de plus malsain que le séjour de ces cahutes, battues par le veut, transpercées par la pluie. Mais le soldat possède une philosophie charmante qui aplanit et égaye les situations les plus cruelles. Avec lui point de misère ni de mélancolie. La propreté et la discipline d’un côté, la joyeuse humeur de l’autre, donnent à tout ce qui concerne l’armée, un air prospère et riant. Une belle et bonne armée peut seule triompher des coutumes barbares d’un pays routinier et de la fatale inertie d’un peuple, en lui donnant l’exemple de la bravoure, de l’énergie et de la soumission. L’armée peut seule sauver l’Italie méridionale du marasme où elle s’alanguit ; elle seule peut épurer, éclairer, policer ce pays, en y faisant fleurir l’ordre, la justice et le respect de l’autorité, qui sont les bases de toute organisation sociale. 
Le lieutenant, ayant envoyé des émissaires aux postes voisins, bientôt des soldats arrivent de tous côtés. Les uns sont expédiés à l’endroit où gît encore la diligence, pour aider les bouviers à la retirer de la neige ; les autres, destinés à nous servir d’escorte, attendent avec nous le passage de la voiture. Et comme nous témoignions un peu d’inquiétude au sujet du corriere :
« N’ayez aucune crainte, nous dit en souriant le capitaine.  Un corriere sans voyageur ne risque jamais rien, et celui-là moins que tout autre. Sa mine est plus que suspecte, et je le soupçonne fort d’être de connivence avec nos ennemis. C’est un de ces êtres énigmatiques, faux et insaisissables, qui ne sont pas malheureusement rares ici, et qui font le désespoir des honnêtes gens. Vous partis, sa voiture se sera raccommodée comme par miracle. Je ne serais pas étonné que les brigands ne lui aient même porté secours ; et si nous étions restés avec lui, il est probable que les choses se seraient passées tout différemment. Vous allez bientôt le voir apparaître sans encombre. »
Au bout d’un quart d’heure, en effet, nous vîmes arriver la diligence radoubée et magistralement traînée par une douzaine de bœufs. 
Réchauffés, restaurés, reposés, l’esprit tranquille et le cœur reconnaissant, nous prîmes congé de l’excellent lieutenant italien. 
« Tout le bonheur a été pour moi, nous dit-il. Votre visite a égayé pendant quelques instants ce triste séjour, et son souvenir remplira mes heures solitaires. »  
Le capitaine, qui n’avait point oublié le rude temps où il avait enduré de pareilles épreuves, lui serre énergiquement la main ; et avec un soleil radieux, nous partons, au pas mesuré de notre attelage pacifique, pendant que dix soldats, l’arme au bras, nous escortent silencieusement. 
« C’est ainsi, cheminant lourdement, dans une neige épaisse, accompagnés de pauvres soldats épuisés, à travers un pays désert et peu sûr, que nous atteignons Ariane vers le milieu du jour. 
Là nous nous arrêtons quelque temps, pour qu’on puisse remettre un timon à la voiture, et remplacer les bœufs par des chevaux. Certains individus, les guêtres aux jambes, le fusil sur l’épaule et le chapeau pointu enfoncé sur les yeux, regardent d’un air sombre notre escorte, puis s’éloignent sans rien dire. 
« Ce sont d’anciens brigands, aujourd’hui chasseurs ou braconniers, nous dit tout bas le capitaine. Si l’occasion s’en présentait, ils n’hésiteraient pas, sans doute, à exercer leur premier métier. Mais on ferme un peu les yeux, car sans cela, chaque paysan mériterait ici d’être fusillé. »
Toutes les mules du village ont été recrutées, et nous repartons, au trot allègre d’un attelage d’un noir d’ébène, dont les longues oreilles sont empanachées et ornées de grelots. 
Après Ariano, sur le sommet d’une haute montagne, nous jouissons d’un spectacle, admirable et imprévu. D’un coté se dressent, couverts de neige, les Apennins, que nous venons de franchir ; de l’autre s’étendent des collines fertiles et verdoyantes. Derrière nous l’hiver, le danger, la terreur devant nous le printemps, la gaieté, l’abondance et la vie. Ici plus de neige, mais un doux zéphyr, qui, en secouant, les amandiers en fleurs, parfume l’air de toniques senteurs. Plus de guérites ni de portes militaires échelonnés dans la campagne, mais des paysannes endimanchées, et des chariots remplis de fruits ou de légumes, circulant joyeusement sur le chemin. 
Vers le soir, les soldats s’en retournent : nous sommes arrivés à Avellino, où nous dînons dans une albergo assez modeste. Malgré tous nos efforts, il nous est impossible de nous habituer à la cuisine de l’Italie méridionale. Nous sommes tout aussi affamés après qu’avant le repas, et envions la sobriété du capitaine, qui s’accommode à merveille d’un plat de macaroni, lequel lui tient lieu de potage, de rôti, d’entrée et de dessert. 
Nous nous remettons en route, et cette fois la nuit est très-noire. La diligence étant en retard de plusieurs heures, on la croit retenue dans les neiges, de sorte que personne n’attend plus son passage. Nous ne trouvons aux relais ni chevaux, ni conducteurs : bêtes et gens y dorment d’un profond sommeil. Tant et si bien que nous mettons quatre heures là où il n’en faudrait qu’une, et qu’au lieu d’être rendus à Naples à six heures du soir, nous n’y arrivons qu’à six heures du matin, transis et moulus. 
On dirait que la nature, réveillée par le retour du printemps, se soit mise en fête pour nous accueillir. Par une rare exception, le Vésuve, couronné d’un panache de vapeur, lance dans l’air tranquille des flocons de légers nuages, qui vont se dessiner vaguement sur le ciel. La mer ondule sous la brise, et le rivage, teinté par les premières lueurs du matin, ressemble à un tapis vermeil pose devant les flots bleus. 
Le carnaval est, à Naples, dans tout son éclat, si bien que chaque hôtel est rempli d’étrangers. Après avoir frappé inutilement à bien des portes, nous sommes heureux de l’hospitalité qu’on veut bien nous donner à l’hôtel de Genève. Aucune chambre n’y est vacante, mais on nous dresse dans le salon un lit de camp, c’est-à-dire un mince matelas étendu sur une planche. Jamais repos ne nous parut meilleur que celui que nous goûtâmes sur cette honnête couchette, succédant aux lits sinistres de Foggia et de Trani
L’hôtel de Genève, situé dans la rue de Medina, n’a ni l’agrément, ni les inconvénients de l’hôtel d’Angleterre, car dans le quartier populeux de Médina, les impressions et le genre d’existence sont bien différents que dans l’aristocratique Chiaja. 
L’hôtel de Genève, très-central, animé, gai, sans luxe et sans façon, fréquenté surtout par des Français, nous offrait justement ce qui pouvait le mieux nous remettre de nos mésaventures dans la Capitanate, à savoir le bruit, l’agitation, le bien-être de la vie, la sympathie de compatriotes, l’entourage d’une société joyeuse, enfin les distractions nécessaires après les impressions pénibles que nous venions d’éprouver. 
À table d’hôte, la conversation roulait, d’ordinaire, sur le brigandage. On s’entretenait beaucoup de l’arrestation de plusieurs Anglais, ainsi que de hauts fonctionnaires italiens, et de la rançon que les bandits exigeaient pour leur rendre la liberté. On espérait qu’un gouvernement ferme, une armée bien disciplinée, et la création des chemins de fer, auraient prochainement raison de ce fléau de l’Italie méridionale, triste anachronisme en présence de la civilisation et des progrès des mœurs modernes. On nous félicitait, en attendant, d’en avoir été quittes pour la peur, et d’être revenus sains et saufs de notre équipée dans les Apennins. 
Le Vésuve nous réservait une admirable surprise. Dès le soir de notre retour, on aperçut les préliminaires d’une éruption du volcan. Des lapilli incandescents étaient lancés hors du cratère, et la vapeur rouge qui s’en exhalait se dessinait sur un ciel noir, comme une gerbe de feu. Accoudés sur le port Sainte-Lucie, nous contemplions avec admiration cet étrange phénomène. Par intervalles, des flammes s’élançaient, du sommet du cône volcanique, brillaient un instant, pour s’éteindre ensuite dans l’obscurité de la nuit. Cette apparition lumineuse en haut de la montagne se renouvelait à peu près toutes les minutes.
Pour la voir de plus près, nous montâmes dans un calessino, et sortant de la ville par le pont de la Maddalena, nous nous arrêtâmes aux premières maisons de Portici. Il était minuit : le spectacle que nous offrit de là le Vésuve empourpré de feux, est un de ceux qui se gravent à jamais dans la mémoire. 
La variété des tableaux de la nature est infinie sans perdre de sa grandeur, elle nous présente chaque jour le même spectacle sous un aspect nouveau. Après avoir vu le Vésuve lancer pendant la nuit ses vapeurs enflammées, nous l’aperçûmes le lendemain, au grand jour, entièrement couvert de neige. Puis le soir venu, la montagne, éclairée par une lune sereine, sembla dormir paisiblement sous un linceul moelleux. De loin en loin, quelques flammes, plus pales que celles de la veille, jaillissaient du cratère. 
Une éruption de laves se préparait. Elle commença, au bout de peu de jours, à se manifester, et l’on vit le ruisseau brûlant descendre peu à peu le long des flancs du Vésuve. 
Nous eûmes donc la rare fortune de voir le volcan napolitain revêtu d’une neige glacée, pendant que son cratère, comme un vaste brasier, étincelait à travers les rigueurs de l’hiver. Le silence et la solitude de la nuit ajoutaient encore à la majesté du tableau. Tout est solennel à l’heure du sommeil de la nature. On aurait dit que la lune, épanouie dans le ciel, s’avançait vers la terre, pour contempler le contraste splendide de cette pyramide de neige couronnée d’un cercle de feu. 

Les protagonistes de l'imaginaire et leurs Oœuvres

Bref profil biobibliographique des auteurs des textes.