Itinéraire d’Anselme Adorno en Terre Sainte (1470-1471)

Anselmo Adorno, Itinéraire d’Anselme Adorno en Terre Sainte (1470-1471), in Sources d’histoire médiévale, Paris, Ed. du CNRS, 1978, pp. 381-403.

La Pouille ou Apulie

La Pouille ou Apulie est une province presqu’entièrement maritime. Elle est très étendue et elle est, je crois, pour l’huile et le blé la terre la plus fertile au monde. Elle produit aussi en abondance de l’excellent vin, d’autres fruits et du bétail, surtout des porcs. C’est un pays plat, au climat tempéré, très chaud en été, très agréable à cause de ses arbres fruitiers et de ses diverses herbes odoriférantes, qui poussent partout naturellement dans les champs sans intervention de l’homme. Son sol est très sablonneux, c’est pourquoi les chemins ne sont pas ravinés par les pluies, mais au contraire consolidés par elles.
La Pouille compte un grand nombre de villes importantes et belles, de bourgs et de châteaux. Lecce est la ville la plus grande de la Pouille; elle est distante de vingt-quatre milles de Brindisi et de dix milles de la mer. De nombreux juifs y habitent et paient tribut. Tarente est une très belle ville, dont le seigneur, le prince de Tarente, était autrefois plus puissant qu’un roi. Nardo est une grande cité. Otrante est située sur un cap abrupt qui s’avance dans la mer. Il y a encore bien d’autres cités, nous en avons traversé quelques-unes, ainsi qu’on le verra plus loin.

Brindisi

Brindisi est, dit-on, la plus ancienne des cités princières de la Pouille. C’est là que les seigneurs eurent presque toujours leur résidence. Elle est située au-dessus de la mer dans une position très forte. Ses deux ports sont les meilleurs, les plus beaux et les mieux fortifiés de toute la Pouille et des régions voisines : nos marins disaient n’en avoir jamais vu de plus beaux. En effet, le port extérieur, destiné aux gros navires, est très grand ; il abrite ces navires contre tous les coups de vent et la tempête. Sur un de ses côtés se trouve un large écueil qui défend l’entrée du port contre l’assaut des flots. On y a construit une église Saint-Christophe qui possède la colonne que saint Christophe y apporta sur ses propres épaules à travers les eaux. Quant au port intérieur le long des remparts de la ville, il ne reçoit que les petits navires. Entre ces deux ports se dressent, de chaque côté, des tours très puissantes qui les protègent l’un et l’autre. Fuyant la tempête, nous sommes entrés dans le port de Brindisi le 25 novembre, fête de la bienheureuse Catherine, dont les prières, sans aucun doute, nous ont fait obtenir cette grâce de Dieu.
La cité de Brindisi est forte par sa position ; elle est peu peuplée. Ses ruines révèlent son ancienne puissance, mais des guerres intestines et un très grand tremblement de terre l’ont démolie et anéantie. À l’origine de son dépeuplement il y eut cependant le naufrage dans le Faro de trente de ses galées qui étaient montées par des marins originaires de la ville elle-même. Dans la zone maritime se dresse un château à sept tours, très fort bien que de petites dimensions, que l’empereur Frédéric Barberousse fit construire en même temps qu’une magnifique demeure complètement détruite de nos jours. C’est de ce port qu’il sortit quand il s’embarqua pour la Terre Sainte.
Il y a dans la ville beaucoup de fort belles églises. La cathédrale archiépiscopale est petite, mais belle, ornée de mosaïques, même sur le sol. C’est dans cette église qu’est enterré le corps de saint Théodore. On y conserve également un bras de saint Georges et sa main droite, une des hydries qui servirent aux noces de Cana en Galilée (large et haute, avec deux grosses poignées, elle est en pierre naturelle d’une admirable couleur) un bras de saint Crépin et la tête de sainte Marine. Derrière cette église s’élèvent deux grandes colonnes polies que Virgile, qui est mort en cet endroit, aurait érigées. Il y a beaucoup d’autres églises dans la cité et aussi à l’extérieur de celle-ci. L’une d’elles est l’église Santa Maria del Casale, où se trouve une image de saint Luc qui a fait de nombreux miracles.
Nous avons quitté Brindisi à cheval en direction de Rome en passant par les terres décrites ci-dessous.

Le bourg de Carovigno

Carovigno est un petit bourg de forme carrée, situé à l’intérieur des terres et entouré de murailles si hautes que les maisons ne se voient pas de l’extérieur. Il a environ cent cinquante feux et se trouve à seize milles de Brindisi.

Ostuni

Ostuni est une petite cité établie sur une éminence au milieu de collines. Elle est bien fortifiée et possède une église cathédrale et d’autres monastères hors de la cité, auprès des remparts. Elle n’a pas l’air d’être entourée de murs, car des maisons ont été construites sur les remparts. Elle est à quatre milles de Carovigno.

Monopoli

Monopoli est le siège d’un évêché. C’est une cité située au bord de la mer, qui n’a pas de port proprement dit, mais une plage. Elle est très peuplée et ses habitants, qui tirent un grand profit de leurs oliviers, sont riches. De tous côtés autour de la cité, sur une distance de trente milles et davantage, les champs ou les prés sont couverts d’oliviers. Il y a même des bois d’oliviers à travers lesquels il est fort agréable de voyager. Bien que nous ayons vu ailleurs, en Syrie ou en Barbarie par exemple, des bois d’oliviers, ceux-là nous ont paru plus agréables et plus grands, parce qu’ils étaient en terrain plat. La ville en elle-même est forte, mais à trois petits milles au bord de la mer un château commande la cité. Il y a vingt-quatre milles d’Ostuni à Monopoli.

Le bourg de Mola

Avant d’arriver à Mola, nous sommes passés par un grand village peuplé du nom de Polignano, situé au bord de la mer et à six milles de Monopoli.
Mola est un petit bourg entouré de fortes murailles et pourvu d’une plate citadelle. Ses maisons sont fort exiguës. Les femmes y sont beaucoup plus nombreuses que les hommes, à raison de quatre femmes pour un homme. La distance de Mola à Monopoli est de quinze milles.

Bari

Bari est une cité de moyenne importance. Elle est défendue par des murailles et, du côté de la terre ferme, par un château. Elle est au bord de la mer, n’a pas de port, mais donne sur le large. Il y a dans cette ville de nombreuses églises belles et hautes, dont les tours très élevées se voient de loin, à une distance de quinze milles. La cathédrale est grande et belle; elle a des colonnes en pierre taillées d’un seul bloc. Sous le chœur, se trouve une grande crypte, avec de nombreuses petites colonnes, dans laquelle repose le corps de l’évêque Savin, que l’on vénère comme un saint.
L’église San Nicolò a la même forme que la cathédrale, mais elle est plus vaste. Ses deux tours ne sont pas tout à fait aussi hautes que celles de la cathédrale. Cette église a été richement dotée par Charlemagne, roi des Francs, qui s’y est réservé une stalle de chanoine que le roi du pays continue à se réserver aujourd’hui. L’église a de hautes colonnes de pierre taillées d’un seul bloc. Sa crypte est semblable à celle de la cathédrale. Le corps du bienheureux Nicolas, qui fait là de nombreux miracles, y est enseveli. Il repose dans une châsse de marbre, sous le maître autel de cette crypte. Le devant de l’autel est en argent, orné d’images. Dans ce devant d’autel est ménagée une petite porte par laquelle on aperçoit, à travers une ouverture qui plonge vers l’intérieur du monument, le corps du bienheureux Nicolas, éclairé par une lampe suspendue à une chaîne d’argent. De son corps coule, dit-on, un liquide ou une huile sainte, dont on oint les yeux et le front des hommes lors des grandes fêtes, ce qui fut le cas pour nous, car nous y fûmes précisément le jour de la Saint-Nicolas. Sous le baldaquin de l’autel supérieur sont suspendues de magnifiques lampes en argent doré, petites et grandes, au nombre de cinquante, que le roi Charles a données au bienheureux Nicolas. Dans la crypte il y a bien trente deux petites colonnes, dont l’une a été miraculeusement placée là par le bienheureux Nicolas. En effet au moment où s’achevait la crypte, il manquait une colonne. Le lendemain, on trouva à la place vide une colonne d’une admirable teinte. Cette colonne a un trou que saint Nicolas aurait, dit-on, fait avec son doigt. Elle est entourée par des barres de fer.
Les citoyens de Bari ont dérobé secrètement à la ville de Myre le corps du saint. Alors qu’ils étaient sur le chemin du retour vers Bari, l’un d’eux voulut s’approprier le petit doigt du saint en le coupant. À peine l’eût-il détaché qu’aussitôt, malgré le vent violent qui soufflait, le navire resta ferme et immobile. Voyant ce miracle, celui qui avait coupé le doigt le remit en place. Dès qu’il l’eût fait, le navire reprit sa route par vent favorable, comme auparavant. Mais lorsque le corps fut dans la cité, les citoyens ne purent se mettre d’accord sur l’emplacement où ils devaient le déposer. Il fut donc décidé de prendre des boeufs de la campagne et de construire une église pour y déposer le corps là où s’arrêterait leur attelage. Les bœufs tirèrent alors l’attelage sur lequel était posé le corps du saint vers le rivage et entrèrent dans l’eau. À cet endroit on construisit l’église San Nicolô dans la mer, qui pénètre parfois à l’intérieur de la crypte.
De Mola à Bari, il y a quinze milles. À Bari habitait un noble qui connaissait de nom et de réputation mon père, mais ne l’avait jamais vu auparavant. Il lui fit quitter l’auberge publique et l’installa dans son très riche hôtel. Il lui donna un excellent cheval et fit preuve envers lui de la plus grande amabilité.

Giovinazzo

Giovinazzo est un petit bourg entouré de murailles et assez peuplé, à douze milles de Bari.

Molfetta

Molfetta est une petite cité maritime solidement fortifiée. À l’extérieur de ses murs, au-delà de l’unique porte, s’étend un grand faubourg où se trouvent un beau monastère des frères mineurs de l’observance, récemment construit, et un monastère de Saint-Dominique. Il y a quatre milles de Giovinazzo à Molfetta.

Notre-Dame des Martyrs

L’église Notre-Dame des Martyrs est située à un mille environ de Molfetta, au bord de la mer; elle est assez grande et fréquentée. De nombreux corps de martyrs y sont ensevelis, ce qui lui a valu son nom de Notre-Dame des Martyrs. Elle se dresse isolée sur le littoral avec quelques maisons qui lui appartiennent. Les prêtres qui la desservent habitent les maisons et y reçoivent les pèlerins en cas de besoin.
Il y a là une image de Notre-Dame qui accomplit de nombreux miracles, ainsi que nous l’avons lu dans l’église. Pendant que nous nous y trouvions nous avons entendu un prêtre de Barletta raconter l’un de ces grands miracles accompli sur le navire où il se trouvait. Ce navire avait perdu dans la tempête son mât, son timon et d’autres agrès. À l’instigation du patron, qui promit la moitié de son bâtiment à Notre-Dame des Martyrs, ceux qui se trouvaient à bord et qui espéraient conserver la vie firent un voeu à la Vierge. Aussitôt le voeu fait, la Vierge leur apparut à la proue du navire. Elle apparut aussi à un juif couvert de lèpre qui se mit à l’adorer et lui demanda de le délivrer de son mal et du péril de la mer contre la promesse de se faire immédiatement chrétien. Il en fut ainsi et le navire atteignit sans dommages le port de Corfou.
La bienheureuse Vierge accomplit d’autres miracles en ces lieux. Aussi chaque année les pèlerins y affluent-ils en grand nombre.

Trani

Trani est considérée comme l’une des plus riches et des plus belles cités de la Pouille. Avant d’y arriver, nous avons traversé la petite ville de Bisceglie, qui est ceinte de murailles et de remparts solides. Trani est située au bord de la mer. Au pied de la cité est un très joli port pour les petits navires, les trirèmes et les fustes. Ce port n’a qu’une entrée ou sortie fortifiée du côté de la mer; elle est garnie de tours pour assurer sa protection. Tout autour ont été bâties de belles maisons, auprès desquelles on a entrepris la construction d’une darse destinée à recevoir les galées et les nefs. Aucune cité de la Pouille ne se compare à Trani pour les affaires ou le commerce.
La ville est pleine de beaux et grands édifices en marbre. Les maisons sont magnifiques et somptueuses d’aspect. Leur façade en marbre blanc est taillée en pointes de diamants ; en effet, le centre de chaque pierre est en relief et les bords s’abaissent de cette façon, exactement de la même manière qu’au château de Damas et dans de nombreuses maisons de Beyrouth. Ces maisons ont des fenêtres encadrées de colonnes taillées et sculptées. Nous avons trouvé ces édifices très beaux.
De nombreux juifs habitent dans cette ville ; quelques-uns d’entre eux se sont convertis à notre foi dans le passé. On appelle leurs descendants les nouveaux chrétiens. Ce sont eux qui ont construit les maisons les plus somptueuses de la cité. Celle-ci compte de nombreuses églises très ornées. On monte par un escalier de marbre à la cathédrale, dont les portes de bronze sont sculptées avec un art merveilleux. La crypte sous l’église est aussi grande que l’église elle-même. On y conserve plusieurs reliques, dont le corps du bienheureux Nicolas le Pèlerin qui est enseveli sous l’autel principal de la crypte. Ce saint était de nation grecque. Jamais d’autres paroles que Kyrie eleison ne se sont échappées de sa bouche, quoi qu’on lui ait dit ou demandé. On conserve aussi un bras de saint Leuce, patriarche d’Alexandrie, une main de sainte Fébronie, un morceau miraculeux du corps de Notre-Seigneur : une femme fort simple de la ville ayant, sans mauvaise intention, mais par ignorance, essayé de cuire une hostie consacrée, celle-ci se transforma aussitôt en un morceau de chair que l’on voit encore aujourd’hui. Il y a encore un doigt du saint évêque Ambroise, une main de saint Damien, un grand os de saint Georges, une image de la Vierge Marie, qui aurait été peinte par saint Luc. En effet, saint Luc a peint treize images de Notre Dame, chacune étant l’une des treize, peut s’appeler decalria. Nous avons vu un bon nombre d’entre elles en divers lieux.
Le château de la ville est très fort. Trani est à quatre milles de Bisceglie.

Barletta

La cité de Barletta est plus grande que celle de Trani. Les habitants prétendent qu’elle est la plus grande de la Pouille après Lecce. Elle a de larges rues, ainsi que de très hautes maisons semblables par leur forme et leur beauté à celles de Trani. Elle est défendue par des murailles et un chàteau à quatre tours. C’est une ville maritime, ornée de remarquables églises. Il y a six milles de Trani à Barletta.

Manfredonia

Avant d’arriver à Manfredonia, suivant toujours à cheval sur le sable dur le rivage de la mer, nous sommes passés au lieu dit Rigoli, ainsi nommé parce qu’y coulent de nombreux petits ruisseaux, que nous avons tous franchis par des ponts. Il n’y a en cet endroit qu’une seule hôtellerie mal approvisionnée. Pourtant ces ruisseaux abondent en oiseaux : oies, anettes, ibis, grues, hérons et autres oiseaux.
Manfredonia est une ville située au bord de la mer, où l’on fait de grosses récoltes de blé, que l’on conserve sur place en grande quantité dans des fosses creusées sous terre à cette fin. La ville n’a pas de vrai port, mais une rade. Les navires y sont cependant en sécurité suffisante à cause des montagnes environnantes qui arrêtent les vents violents. Les habitants disposent d’un môle, ou pont en marbre précieux, comme celui de Gênes, assez long pour charger et décharger les marchandises dans le port. Le roi Manfred, qui construisit la ville, fit faire ce môle récemment.
La cité tire son nom de ceux du roi et de son épouse qui s’appelait Ydonia. À l’intérieur de l’église archiépiscopale est enseveli, sous le, le corps du bienheureux Laurent, évêque de Siponto. Deux églises ont été commencées dans cette ville, mais ne sont pas achevées ni terminées. Les rues sont très larges; la cité est aérée. Quant aux maisons, quelques-unes, peu nombreuses, ressemblent de Trani et de Barletta. Un petit château, partiellement en ruines, se dresse près de la porte qui donne sur la mer. Il y a trois milles à Manfredonia.

Le Monte Sant’Angelo ou Gargano

Monte Sant’Angelo, dit aussi Monte Gargano, est distant de trois milles de Manfredonia et pour monter jusqu’à son sommet il faut aussi parcourir trois milles. Cette montagne produit des fruits en abondance. De nombreuses herbes odoriférantes y croissent: romarin, sauge autres plantes de cette espèce, qui ne poussent chez nous qu’au prix d’un grand travail. Elles prolifèrent sur ce mont d’elles-mêmes, naturellement, sans aucune intervention de l’homme.
Au sommet se trouve une petite cité, aujourd’hui en partie détruite, avec un château et une enceinte. On y voit au point le plus haut une église admirable et étonnante, où l’on pénêtre en descendant un escalier de soixante-quatre marches. L’église a une belle porte en bronze et son choeur est une caverne, ou grotte naturelle, large et haute, où se trouvent beaucoup d’autels et de chapelles, dont le maître-autel bâti et consacré par saint Michel. Un autre autel, sur le côté gauche, est l’emplacement où saint Michel apparut au bienheureux Laurent, évêque de Siponto. Derrière le maître-autel il y a une fontaine dont l’eau guérit différentes maladies; elle a jailli de terre miraculeusement au moment de la consécration de l’église. Quant à la partie antérieure de l’église, elle a été bâtie en pierre de main d’homme.
Au-dessus du choeur, et donc de la grotte, s’étend un bois magnifique de grands et beaux arbres, que nous avons longuement admiré, et cependant pas assez à notre gré. De ce bois enchanteur, qui occupe le sommet même de la montagne, on découvre tout l’agréable pays environnant ainsi que la mer Adriatique. Bref, ce lieu mérite d’être vu et il est très fréquenté par les fidèles en raison de son site. Les pèlerins s’y rendent en foule chaque année, car on estime que l’endroit est saint et prédestiné et qu’on y obtient le pardon de tous les péchés et la rémission des peines. Saint-Michel n’a-t-il pas dit au bienheureux Laurent en désignant ce lieu: « là où s’ouvrent les rochers, là sont remis les péchés ».
À proximité du mont se trouvait la grande et admirable cité de Siponto, dont Laurent fut évêque. Un de ses citoyens, Gorganus, riche propriétaire de troupeaux, faisait paître ses nombreuses brebis et ses boeufs sur le mont Sant’Angelo. Un jour où toutes les autres bêtes rentraient au bercail, un taureau, auquel son maître tenait particulièrement, resta seul dans la montagne. Celui-ci l’ayant cherché pendant trois jours sans relâche le retrouva enfin à grand peine dans la grotte où se trouve maintenant l’église. Irrité et troublé, il tira des flèches sur le taureau, mais les flèches revinrent sur lui. Frappé de stupeur par ce phénomène, Gorganus consulta son évêque Laurent, comme on le raconte plus en détail dans l’histoire de ce saint.
Il y a une autre église cathédrale dans la cité ainsi qu’un monastère Saint-François de l’observance.

Siponto et l’abbaye San Leonardo

Siponto fut jadis une ville noble et belle, située au bord de la mer, à deux milles de Manfredonia vers l’Occident. Saint Laurent en fut archevêque. Maintenant il ne reste rien de la ville, si ce n’est l’antique église de la bienheureuse Vierge Marie, qui fait en ce lieu de nombreux miracles.
Quant à l’abbaye San Leonardo, elle est éloignée de six milles de Manfredonia. Elle est située dans une belle plaine couverte de pâturages. Toutes les terres des alentours dépendent du monastère. Celui-ci fut édifié en l’honneur de saint Léonard qui y accomplit des miracles nombreux et variés, comme le prouvent les offrandes qui ont été déposées et suspendues dans l’église à l’occasion de tous ces miracles. On y voit pendre en particulier celles qui ont été apportées au début par le fondateur de l’église et par ses fils qui, libérés miraculeusement de prison par le secours de saint Léonard, établirent l’église en ce lieu.
Frédéric Barberousse, pour récompenser les succès remportés par les chevaliers de Prusse sur les Sarrasins, leur a donné la jouissance et la propriété de l’abbaye avec toutes ses possessions. Ils l’ont encore et l’ont beaucoup embellie par la construction de beaux édifices. Six ou sept chevaliers y résident en permanence et, avec d’autres frère et prêtres qu’ils y entretiennent, chantent avec dévotion les offices des sept heures canoniques. Là aussi le seigneur mon père fut reçu avec considération.

Foggia

Foggia est un petit bourg situé dans une vallée ou plaine à pâturages, que nous considérons comme la plus agréable et la plus grande que nous ayons peut-être jamais vue. En effet, elle s’étend de Manfredonia à Troia, dont nous parlerons ci-dessous, sur quarante milles au moins. Dans cette plaine vivent des bêtes et des oiseaux sauvages en très grande quantité. Aussi le roi de Naples a-t-il l’habitude de résider à Foggia en été pour chasser le gibier et les oiseaux. C’est pour cette raison qu’il y a fait bâtir un nouveau palais. La ville est laide, mais le site est merveilleux. Il n’y a cependant dans la cité qu’une fontaine. L’église est haute; à l’intérieur, sur le côté gauche, sont ensevelis les corps de saint Guillaume le Pèlerin et de son fils, originaires d’Antioche et morts Foggia en pèlerinage. Ils portaient à la main des branches de palmier dattier qui, plantées sur leurs sépulcres, reverdissaient; elles sont considérées aujourd’hui comme des reliques. Il y a dix-huit milles de Manfredonia à Foggia.

Troia

Je ne parle pas de la province dans laquelle se trouvait la cité d’Ilion, sur le même détroit que Constantinople ou Byzance, mais d’une petite cité d’Apulie, dont les fortifications ne sont pas grandes, mais bien construites. La cathédrale est une belle église, mais de petites dimensions. Le mur qui sépare le choeur de la nef de l’église est recouvert d’une mosaïque, comme à la cathédrale de Pise. La porte de l’église est en bronze, très ornée de peintures et de sculptures. Ce bourg a aussi un château-fort. La cité est située sur une petite colline près des montagnes qui séparent la province d’Apulie des Abruzzes et de la Terre de Labour. Non loin de cette ville, du côté où se trouve le château, s’étendent de très belles vallées, dans lesquelles se déroula la guerre entre le roi Ferdinand de Naples et le duc Jean de Calabre.

Le Mont Crepour

Le mont Crepour n’est pas très élevé, mais il est large et se voit de tous côtés, car il n’est entouré d’aucune autre montagne ou colline. C’est pourquoi le plus grand danger sur ce mont est celui des vents, qui paraissent toujours souffler en permanence, même par temps calme. Quand le vent souffle avec force, le passage de cette montagne est si dangereux que sur mille personnes aucune n’en réchapperait. En effet, ceux qui veulent la franchir attendent toujours que le temps soit calme. Il ne se passe pourtant pas une année sans que de nombreux hommes périssent sur ce mont. À son sommet se trouve une petite maison où, en cas de nécessité, les hommes peuvent s’abriter. Cet endroit s’appelle San Vito et il est à sept milles de Troia.

Les protagonistes de l'imaginaire et leurs Oœuvres

Bref profil biobibliographique des auteurs des textes.