VALERY LARBAUD, Journal, 1921-1935
Brindisi, dimanche 13.
Quitté Naples hier. Nous avons traversé la Pouille couverte d’arbres fruitiers en fleur, mêlés aux oliviers et aux grands caroubiers aux frondaisons fraîches et larges, d’un vert à peine plus foncé que celui du blé qui couvre les grands espaces plats depuis la mer jusqu’à l’horizon. Malgré les descriptions que je lui en avais faites, Mariuccia ne s’attendait pas à trouver un pays aussi fertile et aussi largement ouvert. Le côte « africain » aussi l’a frappée : les villages blancs, les maisons à terrasses, les tuguria faits comme les marabouts algériens ; impression fortifiée par les haies de figuiers de Barbarie qui doublent les murs de pierre sèche.
Pour le voyage j’avais acheté et j’ai lu (achevé ce soir au salon de l’hôtel international) un livre de H.L. Mencken In defence of women. Il me semble que c’est, dans la ligne de Swift et de Sterne, de Shaw, de Wilde, avec de l’humour « déplaisant » assez automatique, et une toute petite dose d’observation personnelle. En somme, faible, d’une ligne imprécise et maladroite ; plus intéressant par le sujet que par les idées ou la manière. Cela m’a montré surtout les contradictions dans lesquelles tombent toujours les écrivains qui prétendent parler de l’homme et de la femme comme d’abstractions. Même chose dans le pauvre petit livre du Dr. Marañón : un caractère donné comme nettement féminin est donné ensuite comme exclusivement masculin, et vice-versa, C’est un écueil qu’ils n’évitent pas. Et cela démontre malgré eux, qu’il n’y a pas de caractère ou d’aptitude morale ou intellectuelle qui soit exclusivement ou masculine ou féminine. Mercredi nous serons à Corfou, installés pour trois semaines au moins : travail et rien que travail. Je laisse ce diary de côté pour ce temps.