Henry Castela, Le Saint Voyage de Hierusalem et Mont Sinay, fait en l’an du grand Jubilé, 1600, avec plusieurs figures tant des Saints lieux que des Églises, et des choses plus remarquables. Par R. P. F. Herny Castela, Tholosain Religieux observantin, Bordeaux-Paris, Sonnius, 1603, pp. 53-57.
Le dix-huitième, nous passâmes près de l’île nommé Tremiti ; et d’autant que nous avions le vent de Syroc qui nous agitait par une grande violence: nous fûmes contraints de reculer et caler voile (car pour aller en Hierusalem [Gerusalemme], il n’y a que trois vents de favorables, que les levantins nomment Ponente, Magistral et Tramontane) pendant ce temps, nous eûmes assez de loisir pour voir cette île, autrefois appelée Diomedée, du nom du Roi d’Étholia, province d’Acaie, maintenant appelée Romania. Pour autant que selon les fables grecques ce Roi Diomedes navigant aux environs de cette île, plusieurs de ses gens s’y perdirent, lesquels furent par après convertis et changés en oiseaux assez grands, qui volent du depuis par tous ces environs, ayant les ailes de couleur tannée, et le ventre blanc: ne se montrant jamais en bonasse que de nuit, si ce n’est que les vents les transportent, comme il advient alors, qui fut cause que quatre ou cinq en vinrent se percher dans les arbres du navire, jetant un cri fort épouvantable, approchant à la voix lamentable d’un homme. On n’en a jamais peu trouver de semblables en autre lieu; en mémoire de quoi le même Diomedes, après avoir rendu cette île habitable y voulut rester encore enseveli, comme plusieurs ont remarqué, selon les vestiges et marques de l’antiquité: là mêmes, à présent il y a un fort beau Monastère, bâti de tous côtés d’une bonne Muraille en forme de forteresse, dans lequel se tiennent des Chanoines réguliers, qui ont leur entrée en Bruzze, province du Royaume de Naples, l’Île n’en est éloignée plus haut de vingt et cinq ou trente mille, et de Venise quatre cent cinquante mille; ou vient traversant à Liesena (qui est le plus près du côté de Cephalonie) cent trente mille. Dans cette forteresse l’on fait garde nuit et jour, ni plus ni moins que par toutes les autres tours, qui sont au long de la côte de la mer, tant vers l’Italie, que l’Esclavonie et Istrie: au sommet desquelles, il y a toujours une sentinelle pour découvrir les navires, fustes, galères, et autres vaisseaux qui vont sur mer, afin que si c’étaient des Voleurs, ceux des autres ports en soient avertis, par le signe qu’ils en font courir les uns aux autres; à savoir le jour par la fumée, et la nuit en montrant du feu ou quelque flambeau allumé. Néanmoins beaucoup de peuple se retire à la foule en cette île de Tremiti, pour les grands miracles qui s’y font par les mérites de notre Dame : en sorte qu’il n’est marinier qui ose passer au-devant, sans la saluer à leur façon en faisant tirer trois coups d’artillerie comme nous vîmes.
De là on découvre aussi le mont de Gargane [Gargano] assez grand et spacieux, qui contient de longueur environ quatre mille, ou il y a certaines villes, châteaux, bois, et autres lieux, où on trouve beaucoup d’herbes médicinales. Ce mot au lieu qu’anciennement on l’appelait Gargane, maintenant s’appelle S. Angelo, d’autant que S. Michel s’y apparat en l’année cinq cent quatre vingt six, du temps du Pape Gelase sous l’Empereur Zeno. Le 20 du mois susmentionné, environ l’heure de vêpres, s’enleva le vent magistral, fort propice et favorable, l’un des trois par lequel on peut aller facilement en Hierusalem, qui nous fit passer le golfe de Ludrin, fort dangereux en temps de tempête, côtoyant l’Île de Corfou (qu’est loin de Venise sept cent mille) pendant un jour et une nuit qu’il dura; où nous vîmes en passant forcer écueils et autres îles fort fertiles: mais ne pouvant aborder à Courfou, nous passâmes outre, voyant néanmoins de long aucunement son assiette, de laquelle je parle au retour de mon voyage. Pardessus ce lieu, nous vîmes de long les grandes montagnes de l’Albanie, appelées des anciens Cimeres et Épire, qui sont habitées maintenant par des gens, qui furent déchassées autrefois des pays de Scythie et de l’Asie: appelés des Italiens Stradioti, ou autrement Albanais ou Grecs, ils ont le renom d’être fort bons Chrétiens et outre ce si courageux et braves, qu’ils ne veulent être sujets à personne; tachant à se gouverner si bien entre eux (comme sont aussi les Maynoti en la Morée, qui est une partie de la Macédoine) et ayant si bien munies leurs forteresses, quoi que ce soit en lieu désert et quasi inaccessible, que le Turc jamais ne les a su vaincre ni subjuguer; tant-ils ont été soigneux de parer et répondre à toutes les attaques, pour garder leur liberté, et ne servir à autres qu’aux Chrétiens. Nous passâmes encore près d’Otrante, et d’un autre Île nommée Sassene, d’où l’on raconte que Pyrrhus Roy d’Épirotes, et depuis M. Varro, Capitaine de Pompée, voulurent faire dresser un pont de navires, pour conjoindre la Grèce avec l’Italie, sans que ni l’un ni l’autre, ait onques pu conduire à chef cette belle entreprise. Puis nous approchâmes peu à peu de la Pouille [Puglia], vers le cap de Sancta Maria [Leuca], anciennement appelée Promontorium Iapigiumes Salentinum, c’est le même lieu où est l’église de notre Dame, auquel soulait être jadis assis le riche temple de l’impudique Déesse Venus, auquel aborda Énée quand il allait en Italie, appelé de ce temps Porto di Vennere, loin d’Otrante [Otranto] environ quinze ou vingt mille.