Nicolas Bénard, Le voyage de Hierusalem et autres lieux de la Terre Saincte, faict par le Sr. Bénard parisien chevalier de l’Ordre du St. Sepulcre de Notre Seigneur Jesus Christ. Ensemble son retour par l’Italie, Suisse, Allemagne, Holande et Flandre, en la tres fleurissante et peuplée Ville de Paris. Avec une ample description des choses plus remarquables et une instruction necessaire pour les pelerins voyagers et Stz Lieux cy dessus de Hierusalem, Paris, Denis Moreau, 1621, pp. 379-386.
Partement de Naples pour aller à S. Nicolas di Bar [Bari] en la Pouïlle [Puglia], des Saintes reliques que l’on voit en l’Église Archiépiscopale de Barry, et autres singularités vues durant ledit voyage jusques à l’Évêché de Molfetta.
CHAPITRE VI
Le vingtième jour dudit mois d’Avril, nous partîmes du matin de Naples [Napoli] pour faire notre pèlerinage à saint Nicolas du Bar [Bari], et passant par un beau chemin qui mène à Pozzo real plein de belles fontaines, vînmes à Pomegliano [Pomigliano], puis à Cesterne [Cisterna] Brusciniano [Brusciano], et passâmes par la ville de Marignano, et nous détournant un peu du chemin trouvâmes la ville de Nola, puis retournant à la Strada nova s’allâmes coucher à un village appelé il Casal del Cardinalo.
Le vingt unième nous trouvâmes encore ce beau chemin et vînmes à Montfort [Monteforte], puis à la principauté d’Avellina [Avellino], et à l’après-dîner passâmes la Trepalda [Atripalda] et Pratta [Prata], et par chemin ouvert dans la montagne traversâmes la rivière et vînmes coucher à la grotte dicte Maynarda.
Le vingt deuxième passâmes par montagnes et par un nouveau chemin vînmes dîner à Mariano, de là passer le bourg de Savignano, la ville de Bovio qui est le commencement de la Pouïlle [Puglia] pour venir au gîte à ponte Bovino grande hôtellerie sur le chemin.
Le vingt troisième passâmes à Castelluccio, puis par pays sec et aride vînmes coucher à Cerignola.
Le vingt quatrième dîner à Canosa, et puis par campagnes stériles et sèches coucher à Andria.
Le vingt cinquième arrivâmes à la dinée à Quadara [Corato], de là à Ruvo, ou Ruvo Évêché, et puis par bocage coucher à la Cité de Bitonte [Bitonto].
Le vingt sixième, par un beau pays remplie d’Oliviers, Amandiers et autres arbres, vînmes à Medongna [Modugno], puis après-midi à la ville de Bary [Bari] qui est distante de Naples de sept journées : nous allâmes aussitôt droit à la grande Église où ayant fait nos prières et dévotions nous allâmes après chercher logis pour nous reposer et disposer pour l’accomplissement de notre pèlerinage.
Le vingt septième jour dudit mois, nous allâmes du matin en ladite Église où ledit sieur Resteau célébra la sainte messe sur l’autel, qui est dessus le tombeau et sépulture du bienheureux saint Nicolas, et moi ayant auparavant été par lui ouï en confession, n’y ayant point d’autre prêtre français, il m’administra le saint Sacrement de l’Eucharistie que je reçus avec toute humilité et dévotion rendant grâces à Dieu de ce que nous avions heureusement accompli notre pèlerinage en priant le benoit S. Nicolas être intercesseur pour nous. Après toutes nos prières, dévotions et oblations faites devant le Sépulcre du bienheureux saint, nous eûmes cette joie spirituelle de voir ses ossements et l’huile sacrée qui en fort, et distille, et plusieurs autres saintes reliques, entre lesquelles est un bras incarné de saint Jacques le mineur, et un gros os de saint Laurens encore tout noir de la brûlure, et le vrai portrait de saint Nicolas, lesquelles nous furent montrées par le sacristain prêtre chanoine de ladite Église. La grotte où est le tombeau est fort belle et bien ornée, le Sépulcre est tout de marbre blanc sous l’autel, lequel est enrichi de plaques ou lames d’argent : toute la grande Église est fort riche et magnifique y ayant plusieurs beaux tableaux, riches ornements et parements, ledit sacristain nous fit présent à chacun de quatre fort petites fioles pleines de cette huile sacrée, dont nous le remerciâmes bien humblement et de sa peine, et retournâmes en notre hostellerie. Et pour ne rien omettre de ce qui est digne de remarque de la ville en ce que j’en ai vu et appris en si peu de séjour ; Bary [Bari] est une ancienne ville et fort riche, bien peuplée où y a Archevêché comme ceux de tout le pays et Duché de Bary étant sur les dernières limites de la Pouille. Le port où abordent les vaisseaux n’est pas beaucoup grand, aussi a il été fait avec merveilleuse dépense et artifice. En icelle ville qui est située sur un rocher, mal accessible, y a une forte citadelle pour la défense de la ville contre les Turcs, en laquelle y a garnison Espagnole : jadis les Rois de Naples étaient couronnés en l’Église cathédrale qui est fondée en l’honneur de saint Nicolas. Quant au surplus de la ville elle se monstre assez grande et fort marchande, bien fermée de murailles, et est de moyenne étendue, assez recommandée pour son antiquité, et principalement pour la révérence du saint leur patron, pour visiter laquelle Église de saint Nicolas, à cause des mirages qui s’y sont journellement les pèlerins y abordent de toutes parts d’Italie, et d’autres royaumes Chrétiens, ce qui apporte beaucoup de commodité à ladite ville: nous en partîmes sur les neuf heures du matin, cheminons le long de la marine vînmes diner à l’évêché de Giovenazzo [Giovinazzo], et delà continuant ledit chemin vînmes coucher à l’Évêché et principauté de Molfetta.
De la visite de la chapelle de saint Nicolas le pèlerin en la ville de Tracia, de l’Église de notre Dame d’Andria, de plusieurs villes et passages du mont Gargan autrement le mont saint Michel, et des singularités que l’on voit en sa chapelle et notre retour à Naples
CHAPITRE VII
Le vingt huitième, nous partîmes dudit lieu de Molfetta par beau pays plein de vignes, Oliviers, Caroubiers et Amandiers, delà passâmes à l’Évêché de Virgilia [Bisceglie], et puis à l’Archevêché de Trani, et fîmes nos prières et dévotions à la crypte ou grotte où repose le corps de monsieur saint Nicolas le pèlerin, le corps duquel une partie fut trouvée l’an mil six cent trois, et l’autre par l’Archevêque de Modena l’an mil six cent onze: les habitants du lieu le tiennent en grande révérence, et en ont saint leur patron. On tient que ce saint personnage était enfant de famille de Grèce, et quittant le monde et ses biens, s’en vint habillé en pèlerin pour visiter les saints lieux de Rome, mais il fut prévenu de mort et longtemps âpres il fut trouvé, et pour plusieurs miracles il a été depuis canonisé, et delà par plaines assez stériles vins mes coucher à la ville et Évêché d’Andria.
Le lendemain vingt neuvième nous allâmes faire nos dévotions à la Madonna d’Andria à un mille de la ville où ce sont plusieurs miracles, et fut le midi arrivâmes à Barletta où joignant Église du saint Sépulcre vîmes la statue de bronze plus que gigantesque de l’Empereur Héraclius. À trois milles de là passâmes l’Anfido [Ofanto] sur un pont, et par grandes plaines stériles vînmes coucher à une tour nommée les Salines qui est à la côte de la mer.
Le dernier jour d’Avril nous passâmes près une grosse tour où était ancienne et la ville de Salpo [Salpi], puis cheminâmes toujours le long de la marines traversâmes une rivière dans une barque, et après avoir passé l’antique et jadis magnifique ville de Siponte [Siponto] de laquelle ne reste qu’une Église ayant été ruinée et démolie par un grand tremblement de terre, on trouve Manfredonio [Manfredonia] ville assise sur un roc près le golfe du mont Gargan [Gargano], en laquelle y a Archevêché, on y voit un beau port de mer défendu d’une forteresse. Après dîner nous parvînmes avec difficulté du chemin au sommet de ce mont Gargan aussi appelé mont de S. Michel Ange, à cause de son apparition sur cette montagne (ainsi que l’on tient) laquelle est fort haute et de grande étendue, commençant à l’Apennin jusques dans la mer qui la baigne de tous côtés excepté vers le Midi. Ce mont est abondant en blés, vins, fruits, pâturages et plusieurs beaux simples et aussi couvert de bocages et petits bois en quelques endroits. Au sommet de cette montagne est le château saint Ange, presque imprenable à cause de son assiette : en icelui est la splénique trouvée en l’an cinq cent octante six, le huitième de Mai du temps de l’Empereur Zénon et du pape Gélase, en ce temple souterrain on y descend par cinquante-cinq degrés taillés dans le roc ayant la face au nord, et la grotte où est la chapelle et autel du saint Ange est tournée vers l’Orient. Tout est de marbre blanc : savoir le portail, les degrés, les colonnes et autels, même le pavé est rouge et blanc ; en la descente y a plusieurs fenêtres qui donnent jour, autrement il faudrait y porter de la chandelle. En ceste grotte il fait toujours bien froid nous y fîmes nos prières et dévotions et ne pouvions tanner nos yeux admirant cet ouvrage si riche et artificiellement élaboré et entaillé comme chose très rare et digne d’être bien remarquée : étant sortis de ce saint lieu il fut temps de chercher logis pour nous retirer jusques au lendemain.
Le premier jour de Mai enfuyant audit an mil six cent dix-sept, après avoir fait nos dévotions en ladite Église du mont saint Ange, nous vînmes par aspres et rudes Montagnes à la Madona de monte Polsano qui est une abbaye, et descendant la rude montagne arrivâmes au dîner à la ville susdite de Manfredonio [Manfredonia], et puis par infertiles plaines coucher à l’abbaye saint Leonard qui ont grande et bien riche située en une plaine campagne et fortifiée de bonnes murailles, en icelle tous les pèlerins passants y sont traités et reçues : le sieur Resteau trouva par rencontre connaissance d’un Vallon qui là était résident, nous fumes honorablement reçues, bien traités et couchés dans une fort belle chambre et non à la façon des pèlerins, et ce en considération de la qualité dudit sieur Resteau auquel le prieur du lieu fit beaucoup d’honneur.
Le deuxième jour ayant remercié ledit sieur prieur nous passâmes sur un pont la rivière de Cavara [Cervaro], et vînmes coucher à la ville de Foggia où se tenait la foire.
Le troisième nous commençâmes du matin à cheminer parmi des grandes plaines infertiles pour venir dîner à l’Évesché de Troya [Troia], et delà montant l’aspre et rude montagne que les habitants appellent Crepicuora [Crepacuore], on trouve la taverne de saint Vito, où nous demeurâmes au gîte.