André Maurel, Petites villes d’Italie, vol. 3, Paris, Hachette, p. 43-44 : Aussi n’est-ce pas à Lucera que je veux évoquer Frédéric II ni ses ancêtres. Je les trouverai dans des villes plus propices aux faits. Et, tandis que je reviens vers Foggia, c’est à Charles d’Anjou que je songe, le destructeur du rêve normand, l’artisan de cette ruine, et qui mourut à Foggia, au pied de cette rocca qu’il avait voulu conserver pour son usage, mais qui fut rebelle à tout ce qui n’était pas son destin premier. J’enfouis Manfred et les Normands dans la prairie, et c’est à Charles d’Anjou que je demande de me ramener parmi les vivants, parmi les pauvres hommes.
Il est vraiment l’un des plus tristes sires de l’histoire. « Ni visible, ni accessible, ni affable, ni aimable » disait de lui son meilleur ami, le pape qui l’avait appelé en Italie. Et l’on peut ajouter : cruel, méchant, lâche, avaricieux, fourbe et grossier. Aussitôt après la mort de Conradin, il ne voit plus d’obstacle qui puisse l’arrêter, et, juste châtiment, le pape est sur le point d’assister à la formation de ce grand royaume rêvé par Manfred. Le plat, cynique et fourbe insolent qu’est le frère de saint Louis, lui aussi, regarde vers l’Orient, comme tous les autres, Guiscard ou Roger, ou Guillaume ; seul Manfred se limita, dans un fin équilibre. Soyons juste. Charles obtint de l’Italie ce que personne, jusque-là, n’avait obtenu : l’unité de sentiment. Les intrigues qu’il noue à toutes les querelles entre les seigneurs, les évêques et les villes, ses cruautés, ses parjures, apaisent aussitôt les dissentiments. Instantanément, l’Italie tout entière, ou à peu près, est guelfe. Et Charles se voit déjà, l’Italie écrasée par lui, roi d’Italie, empereur d’Occident, d’Orient aussi, après !