Imaginaire Pittoresque

La Tarentelle

19

Jean de Beauregard, Du Vésuve à l’Etna et sur le littoral de l’Adriatique, Lyon, Vitte, 1895, p. 203-204 : Dans la zone triangulaire dont les angles sont limités respectivement par Taranto, Brindisi et Otranto, existe une araignée, dont le nom scientifique est « lycose tarentule » et le nom vulgaire et spécifique, « tarentule », en italien, tarantola. Cette araignée est venimeuse. Toutefois, son venin n’est dangereux que pour les insectes qui lui servent de nourriture. Lorsqu’elle atteint accidentellement les personnes, sa piqûre, qui n’est point mortelle, exerce sur le système nerveux une influence morbide, que la médecine désigne sous le nom de « tarentisme », et qui offre ce caractère particulier de développer de semblables malaises nerveux chez quiconque voit un malade déjà affecté de tarentisme. Le tarentisme a régné, dans la Pouille et l’Italie méridionale, pendant une partie du XVe, du XVIe, et du XVIIe siècles : il s’est éteint depuis. Mais comme, d’une part, cette maladie nerveuse donnait une extrême envie de danser, et que, d’autre part, le sentiment populaire affirmait qu’elle se guérissait surtout par la danse et par la musique, on se livra, en Italie, durant trois siècles, avec une véritable frénésie, à la danse appelée, pour tous ces motifs, « Tarentelle ».

Léon Palustre de Montifaut, De Paris à Sybaris. Études artistiques et littéraires sur Rome et l’Italie méridionale. 1866-1867, Paris, Lemerre, 1868, p. 359-360 : Curieuse affection que celle du tarentisme, et encore inexpliquée jusqu’à ce jour ! La piqûre d’un insecte, innocente aujourd’hui, ne pouvait être dangereuse autrefois. Permis au vulgaire de rendre ainsi raison d’un désordre intérieur qui se manifestait surtout par le désir extrême de danser au son des instruments, et un besoin immodéré de musique et de bruit. De nos jours il est généralement admis, même chez les habitants du pays, que l’imagination avait la plus grande part dans cet étrange bouleversement physique et moral. Il serait même permis de voir, avec certains écrivains dans les moyens employés pour le soulagement du souffrant, un reste des orgies observées dans la célébration du culte de Bacchus. Une personne était-elle atteinte du mal, aussitôt commençaient les réjouissances et les fêtes, et l’expansion allait si loin, dit-on, parfois, que plusieurs maris refusèrent à une aussi dure condition de rendre leurs femmes à la santé.

La patiente d’abord, vêtue de blanc, couronnée de pampres et de rubans, une épée nue à la main, était conduite en cérémonie sur une terrasse par ses amis les plus chers ; puis, la tête inclinée dans ses mains, elle demeurait quelque temps assis pendant que des musiciens choisis essayaient par leurs accords de répondre à ses caprices et à ses goûts. Comme subitement frappée par une mélodie inconnue, bientôt la malade se levait et peu à peu elle arrivait à conformer sa démarche aux sons des instruments. Les musiciens alors accéléraient imperceptiblement la mesure, et amenaient avec habileté l’air de la Tarentelle, le signal de la danse et de la folle gaieté. Aussi longtemps que sa respiration et ses forces le lui permettaient, la souffrante suivait l’orchestre avec frénésie, ne quittant un danseur que pour en prendre un autre, et, afin d’augmenter ses forces, arrosant souvent son visage d’une eau glacée qu’elle puisait dans un vase placé à portée de sa main. Enfin, lorsque épuisée, elle voulait indiquer, la remise de la fête au jour suivant, elle versait sur elle un seau d’eau tout entier, et s’inondait de la tête aux pieds. Incontinent alors ses compagnes s’empressaient de la déshabiller et de la déposer dans son lit. Pendant ce temps les autres invités s’efforçaient en dévorant un substantiel repas, toujours préparé pour la circonstance, de contribuer pour leur part à sa guérison.

Jean de Beauregard, Du Vésuve à l’Etna et sur le littoral de l’Adriatique, Lyon, Vitte, 1895, p. 204-205.

Le tarentisme a régné, dans la Pouille et l’Italie méridionale, pendant une partie du XVe, du XVIe, et du XVIIe siècles : il s’est éteint, depuis. Mais comme, d’une part, cette maladie nerveuse donnait une extrême envie de danser, et que, d’autre part, le sentiment populaire affirmait qu’elle se guérissait surtout par la danse et par la musique, on se livra, en Italie, durant trois siècles, avec une véritable frénésie, à la danse appelée, pour tous ces motifs, « Tarentelle ». Quand on débarque à Capri, et tandis qu’on déjeune sur la terrasse de l’Hôtel Bellevue, on est à peu près sûr de voir arriver quelques indigènes, qui s’offrent à exécuter, sous vos yeux, une tarentelle et à vous faire les honneurs de la danse locale. Le rythme de la tarentelle, bien qu’un peu banal, est joli ; et, dans son cadre modeste, les maîtres modernes, Frédéric Chopin, par exemple (Op. 43), n’ont pas dédaigné de jeter quelques-unes de leurs belles inventions. L’une des plus typiques compositions contemporaines, dans ce genre, est la Tarentelle (Op. 14) de Nicolas Rubinstein, le frère d’Antoine Rubinstein, le plus grand pianiste de ce siècle avec F. Liszt, et malheureusement disparu trop tôt, comme lui ! Les Tarentelles de Scharvenka (Op. 5 I), de Nicodet, de Moszkowski (Op. 27), de Stéphen Heller (Op. 85 et 137), pour ne citer que les plus en vue, sont d’ailleurs connues de tout le monde.

Suivez les itinéraires de l'imaginaire français

Un itinéraire proposé selon les catégories de l’imaginaire français des Pouilles.