Guillaume de Jerphanion, L’Excursion en Calabre et dans les Pouilles, in Atti del V Congresso internazionale di studi bizantini, Roma 20-26 septembre 1936, Roma, tipografia del Senato, 1936, p. 597-598 : Extérieurement et de loin, rien de plus sévère que cette haute masse octogonale, flanquée, aux angles, de huit tours, octogonales elles aussi, avec une porte d’entrée aux lignes grandioses, de rares fenêtres et des meurtrières. Si l’on approche, on est frappé par le fini du décor à la porte et aux autres ouvertures. Des fenêtres gothiques du plus charmant dessin. Et quand on entre, c’est un émerveillement, tant l’intérieur est soigné. Beauté des lignes de l’architecture ; élégance des combinaisons de voûtes, dans ces salles dont aucune n’est rectangulaire ; richesse du décor, oh les marbres antiques se mêlent aux sculptures du XIIIe siècle. Non moins intéressante est la distribution des appartements, l’ingéniosité des escaliers dérobés, de maints détails pratiques assurant à la fois la sécurité et des commodités toutes modernes. Il y a, dans les tours, jusqu’à des salles de douches, alimentées par des réservoirs suspendus qui recueillaient l’eau des terrasses. On devine partout le goût raffiné de Frédéric II, cet artiste et ce poète, qui, par amour du contraste, pourrait-on croire, a voulu, dans le site le plus sauvage et derrière les murs d’apparence la plus sombre, se créer un séjour enchanteur.
André Pieyre de Mandiargues, Le Cadran Lunaire, Paris, Robert Laffont, 1958, p. 134-135 : L’« Espion des Pouilles », exemplaire de ce que je viens d’écrire, qu’est-ce donc et d’où sort-il, tombé de la rêverie, comme on jurerait qu’il fut sur le haut d’une colline toute chauve, au-dessus d’un plateau immense ? D’abord il faut dire que ce vilain nom désigne un château, appelé encore Castel del Monte, bâti pour Frédéric II de Hohenstaufen, résidence favorite de cet empereur. Puis que notre « espion » (le mot, décidément, indigne) est situé beaucoup plus précisément dans l’abstrait, sur le plan intellectuel, que dans le monde de la réalité, car c’est un point idéal : le point de rencontre de l’esprit germanique avec l’italien (le latin), le normand, le grec et l’arabe. Quand tel prodige arrive qu’un nœud vital sur les chemins de l’esprit prenne forme concrète, ce ne peut être, n’est-ce pas, que cristalline. Et Castel del Monte, en effet, est un cristal. L’un des plus rares et purs que sur la terre il soit donné de voir. Certains se sont trompés absolument, qui, perdus dans ses labyrinthes, l’ont voulu comparer à un coquillage univalve (le contraire du cristal) , puisque la structure de celui-là procède essentiellement de la spirales signature du progrès dans le temps et motif dont ont souvent usé, abusé quelquefois, les architectes, mais qui n’a d’emploi que subalterne (l’escalier des tours) dans le château de Frédéric II, ce prisme étoilé, ce parfait polyèdre, ce diamant philosophal jeté en terre aride entre l’Orient et l’Occident. Sa forme est symbolique, qui est celle de la couronne impériale.